Objections - n°13 - janvier 2008 - pages 1 et 2 En communion ou pas ? - Abbé G. de Tanoüarn
Je recevais tout récemment une lettre d'un évêque. Je ne vais pas le nommer parce que je n'ai pas l'habitude de moucharder. Mais sa réaction écrite m'a paru tellement caractéristique que je ne résiste pas à vous la faire connaître. Et puis, vous êtes un peu concernés, comme vous allez le voir ! Notez simplement qu'il vous donne lui-même une indication sur l'emplacement géographique de son diocèse. « Vous n'êtes pas en communion avec les évêques d'Île-de-France, comme le prouve la revue Objections ». Et d'ajouter, pour que la mesure soit bien pleine, que cette communion ne risque pas d'advenir « avant plusieurs années ».
Je me demande donc ce qui me vaut cette excommunication latae sententiae… Je cherche. Il est vrai que nous nous intéressons beaucoup aux évêques en ce moment, à leur bon et aussi – hélas – à leur mauvais vouloir. Il est vrai que nous en écrivons : l'Église de France n'est pas, que je sache, une Église du silence. Nous parlons des évêques avec le respect nécessaire lorsqu'on évoque les successeurs des apôtres. Avec un souci d'exactitude aussi et de justice dans ce que nous en rapportons (pour avoir publié une fois un renseignement faux, qui me valut une lettre mémorable de l'un d'entre eux, je sais ce qu'il en coûte de tolérer l'à-peu-près ou le manque de rigueur dans l'information). J'ajoute – mais c'est sans doute personnel – un immense désir de leur être agréable…
Hélas, ce désir n'est pas compris, au moins du scripteur de cette lettre, qui utilise de grands mots, cherchant sans doute de grands remèdes.
La question que je me pose porte justement sur l'un de ces grands mots : communion. Est-il possible lorsqu'on est en communion avec le pape de ne pas être en communion avec les évêques d'Île-de-France ? Est-il possible lorsqu'on est manifestement en communion avec la plupart des évêques d'Île-de-France de ne pas l'être… du tout, à cause de l'un d'entre eux ?
Et puis il y a une question subsidiaire : faut-il vraiment que je m'administre à moi-même ces grands remèdes qui appellent les grands mots ?
Je suis membre de l'Institut du Bon Pasteur, créé par la volonté de Benoît XVI (comme l'a souligné à plusieurs reprises le cardinal Ricard). Je suis donc prêtre, incardiné dans la Commission Ecclesia Dei à Rome, ayant signé, un an avant la création de l’Institut, un “acte d'adhésion”, par lequel je m'engageai à « une critique constructive » de Vatican II. Ces actes forts du pape Benoît XVI, je les ai pris comme une feuille de route, à son service. On ne peut les remettre en cause qu'en contestant son autorité souveraine. – Mais me direz-vous, un évêque peut défaire ce qu'un autre évêque a fait. – Certes, mais le pape n'est pas que l'évêque de Rome. Il est la source de tout pouvoir dans une Église, dont il garantit l'universalité, au-delà des particularités locales. Un évêque ne peut donc défaire ce que le pape a fait.
Comment concevoir en effet cette communion à deux vitesses, qui serait d'une part, en Pierre et en son successeur, une communion à l'Église universelle, et d'autre part, en tel évêque, une communion à l'Église locale ? Et comment concevoir que ces deux communions subsistent séparément et qu'elles puissent ne pas s'identifier l'une à l'autre dans la communion au successeur de Pierre ? Communion à vitesse papale, communion à vitesse épiscopale, ce concept paraît proprement inconcevable. Un cercle carré. À moins d'imaginer (horresco referens) que l'évêque ne soit pas, lui-même, en communion avec le pape. Dans un document de 1993, La notion de communion, le cardinal Ratzinger, temporibus illis, a bien montré que la communion à l'Église locale n'a de sens qu'en tant qu'elle exprime la communion à l'Église universelle.
Mais pourquoi faut-il que, dans leur pastorale, certains parmi les évêques français (d'autres noms encore me viennent à l'esprit) semblent défendre l'idée saugrenue que l'on peut être en communion avec l'Église universelle sans pour autant être en communion avec l'Église locale ? Pourquoi faut-il qu'ils se donnent l'air d'ajouter des conditions de communion à celles que le pape a établies ?
Après le Concile, en 1971, en pleine crise progressiste, à propos de l'Église de Hollande, le pape Paul VI a évoqué à plusieurs reprises des « ferments schismatiques ». Il ne faudrait pas que ces ferments aient levé dans la pastorale de certains évêques de France.
Nous devons tous faire attention aux mots que nous utilisons, pour que le porteur de zizanie dont parle l'Évangile – inmicus homo – ne profite pas de différends humains, trop humains, pour en faire autant de déchirures dans la tunique sans couture.
Tout cela est bel et bon, direz-vous, mais il reste un vrai problème : celui de la concélébration. Si vous ne souhaitez pas concélébrer avec nos évêques, n'est-ce pas un signe infaillible d'une carence de communion ? Et les évêques qui utilisent ce grand mot n'ont-ils pas raison de le faire ?
L'objection est importante ; elle ne peut être prise à la légère.
Il faut souligner qu'il existe un lien profond entre l'ecclésiologie et la théologie des sacrements. Sans forcément réduire la communion ecclésiale à sa dimension eucharistique, comme le fit naguère l'orthodoxe Jean Zizioulas, il importe de poser que la fin de l'eucharistie (ce que les thomistes appellent res et sacramentum), c'est l'unité de l'Église, en tant qu'elle représente son efficacité salvifique. Si le Royaume de Dieu advient, c'est par l'autel et en quelque sorte sur l'autel qu'il advient, ainsi que le disait souvent Mgr Lefebvre. Sans l'eucharistie, qui est l'Emmanuel de Dieu, Dieu avec nous, il n'y a plus d'Église.
Dans cette perspective, il n'est pas facultatif, ainsi que j'ai eu l'occasion de l'écrire à plusieurs reprises, de reconnaître la légitimité de la forme nouvelle du rite latin, qui, parce qu'elle est proclamée par un pape au nom de l'Église, est essentiellement valide.
– Mais alors, direz-vous encore, qu'est-ce qui vous empêche de concélébrer avec l'évêque dans ce rite essentiellement valide ?
– Certains invoqueront le devoir de cohérence avec notre vécu antérieur et par conséquent avec les positions de la Fraternité Saint Pie X. Cette raison existentielle est une mauvaise raison. Je ne souhaite pas avoir mis la main à la charrue et que l'on me prenne en flagrant délit de rétrovision… Il faut regarder droit devant soi et mesurer la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui encore. Cet évêque qui excommunie ses frères chrétiens en lousdé nous permet, sans doute bien malgré lui, de mieux mesurer l'opacité des problèmes dans lesquels nous nous débattons. Essayons de mettre un peu de lumière sur tout cela, sans céder aux passions qui, depuis que le monde est monde, aigrissent si souvent les questions religieuses.
Il me semble qu'il y a trois raisons qui, aujourd'hui, empêchent les prêtres du Bon Pasteur de concélébrer dans la forme nouvelle du rite latin.
La première ? Les statuts de notre communauté, approuvés par la Commission Ecclesia Dei et visés par le pape, nous garantissent « l'usage exclusif » de la forme traditionnelle du rite latin, reconnu comme notre « rite propre ». il ne s'agit pas seulement pour nous d'un droit positif dont nous ferions état avant de recevoir un nouveau formulaire dont on puisse dire, selon la formule consacrée, qu'il « annule et remplace » le précédent. Ces statuts matérialisent notre contrat constitutif avec l'Église. Ils nous assignent un charisme, qui est en effet constitutif de notre vocation ecclésiale. Nous ne pouvons donc en aucun cas traiter à la légère de telles injonctions, et les évêques qui nous demandent d'y renoncer font penser à ces réactionnaires qui ont toujours besoin d'être plus royalistes que le roi et dont la surenchère porte avec elle quelque chose de vaguement dérisoire.
Deuxième argument : il concerne plus directement les prêtres souhaitant bénéficier du même privilège que l'IBP, mais ne pouvant faire état d'un droit que nous donnent nos statuts, puisque… ce ne sont pas les leurs.
Il y a, me semble-t-il, une difficulté théologique vraiment dérangeante à faire de la concélébration dans la forme nouvelle du rite latin le signe nécessaire de la communion.
D'abord, cela aboutit à nier la notion – traditionnelle dans l'Église – de rite propre. Demain si tel Patriarche orthodoxe se rattache à la Primauté romaine, faudra-t-il que la concélébration selon la forme nouvelle du rite romain vienne sceller la réconciliation entre lui et le pape de Rome ? Il me semble que cette notion canonique de rite propre est nécessaire à un œcuménisme bien tempéré. Il serait absurde de la mettre en cause au sein de l'Église latine, alors que la réunion des deux poumons de l'Église semble de plus en plus attendue.
Plus profondément, cela introduit une dualité et une préférence dans ce que le pape a appelé « l'unique rite latin sous ses deux formes », et cela au risque de rallumer la guerre des rites que le Motu proprio du 7 juillet dernier avait si fermement souhaité conjurer. Il est absurde de réclamer que les prêtres célébrant habituellement le rite traditionnel manifestent leur communion dans le rite nouveau, comme si le rite traditionnel, célébré una cum famulo tuo papa nostro Benedicto ne portait pas en lui-même une volonté efficace de communion. Exiger cette concélébration de la part de ceux qui célèbrent habituellement le rite dans sa forme traditionnelle, c'est mettre en cause, de manière difficilement tolérable, la finalité et donc la légitimité du rite traditionnel.
Et si l'on m'explique le contraire, alors, logiquement la concélébration n'est pas nécessaire.
En revanche, il importe de mettre en valeur des signes concrets de communion dans un véritable respect mutuel, qui va, bien entendu, jusqu'à une collaboration réciproque dans l'évangélisation.
Le dernier point est important : nous avons reçu le droit d'exprimer une « critique constructive de Vatican II » et des réformes qui lui font suite, parmi lesquelles, la réforme liturgique. Nous n'avons jamais caché que nous avons des critiques respectueuses à énoncer quant à la théologie de la forme nouvelle du rite, celles-là mêmes que formulèrent en leur temps les cardinaux Ottaviani et Bacci dans leur Bref Examen critique. Il est certain qu'à travers l'encyclique Ecclesia de Eucharistia comme aussi dans le document Redemptionis Sacramentum, le magistère entreprend une réévaluation à longue portée de l'œuvre liturgique de Vatican II. Nous pensons que notre propre « critique constructive » s'inscrit dans ce grand mouvement ecclésial. Nous la présentons avec humilité, mais aussi dans un grand désir de vérité.
S'il est vrai que la barque de Pierre fait eau de toutes parts, elle ne pourra se redresser que dans la mesure où elle retrouvera l'étoile polaire de sa Tradition.
Abbé G. de Tanoüarn