samedi 15 décembre 2007

Les évêques français dans l’impasse - Abbé Guillaume de Tanoüarn

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 1

Les évêques français dans l’impasse - Abbé Guillaume de Tanoüarn

Le roboratif discours de clôture administré aux évêques français lors de leur assemblée générale à Lourdes au début du mois de novembre par le cardinal Vingt-Trois ne doit pas faire oublier à ces mêmes évêques les difficultés qu'ils rencontrent dans leurs diocèses respectifs, lorsqu'il s'agit d'appliquer le Motu proprio du pape Benoît XVI libérant la liturgie traditionnelle. De cela d'ailleurs, le nouveau patron n'a pas soufflé un mot, laissant chacun affronter la difficulté telle qu'elle se présente à lui. L'attitude générale, comme nous l'avons dit dans le précédent numéro, a été largement édictée dans les réunions régionales de la mi-septembre : la messe traditionnelle peut-être, de temps en temps, mais surtout pas de prêtres venant de l'extérieur : nous avons les mêmes à la maison !

Retour de Lourdes, Mgr Bouilleret, évêque d'Amiens, n'a pas de chance. Il trouve les traditionalistes de la FSSPX dans la rue, ou plutôt devant sa cathédrale, assistant à la messe du dimanche dans le froid de ce mois de novembre, sans qu'apparemment il y ait de place prévue pour eux dans l'hôtellerie diocésaine ! Comment faire ? se demande-t-il. « Avant tout je voudrais distinguer les intégristes et les traditionalistes » déclare l'évêque d'Amiens, bien embarrassé. Aux uns, il est prêt à accorder l'asile politique dans l'Église conciliaire, c'est-à-dire un prêtre « du diocèse » (comme s'il en avait trop !) qui leur dira la messe au compte-gouttes en leur enseignant les bienfaits de Vatican II, le concile qui a fait l'Église telle que nous la voyons aujourd'hui. Aux autres, les sans-papiers, les intégristes, il refuse même de les rencontrer. On ne sait jamais ! Une rencontre peut avoir toutes sortes de conséquences, non prévues dans la feuille de route. Il faut comprendre l'évêque aussi : gouverner c'est prévoir ! Il ne sera sans doute pas si facile de répondre à ces sans-logis de l'Église qui osent venir lui parler droit au logement : « nous avons les mêmes à la maison ! » Même parmi les fidèles du rang, cette soixantaine de héros qui se trouvaient, assistant à la messe du dimanche matin à l'intérieur de la cathédrale, ce discours passe mal. Dimanche 18 novembre, dans la cathédrale, le curé avait résolu de parler “messe face au peuple et présence au monde” ; et ce sont ses propres paroissiens qui l'ont interrompu en lui demandant d'aller faire de la présence au monde avec les catholiques restés dehors.

On sent bien que le discours épiscopal sur les traditionalistes, si résolu qu'il ait pu paraître dans les premiers jours du Motu proprio, n'est pas aussi assuré qu'il veut s'en donner l'air. La meilleure preuve ? Jusqu'au Motu proprio, l'argument fondamental des évêques était la différence entre chrétiens du concile et chrétiens de la messe en latin, une différence inassimilable à les entendre. Aujourd'hui leur argument (nous avons les mêmes à la maison) est exactement à l'inverse : « puisqu'on vous propose la même chose, disent-ils aux traditionalistes, revenez vers nous ! » Cette évolution rhétorique a été trop peu signalée. Elle est le premier signe d'une évolution pastorale considérable.

Je me souviens, durant mon service militaire, un prêtre d'Orléans, ordonné par Mgr Riobé, emblème controversé du progressisme français, qui me disait, alors que je n'étais qu'un petit séminariste en soutane : « Je suis dans la ligne de Riobé, mais la tradition j'en fais, on m'en demande ». Il m'avait assuré auparavant qu'il ne connaissait pas le latin : « Ça ne te gêne pas ? ». C'était lui qui se trouvait horriblement gêné, le pauvre ! Comme sont gênés aujourd'hui tous ceux auxquels on demande de faire ce qu'ils n'ont pas appris à faire, ces prêtres diocésains que l'on va recruter pour célébrer la messe traditionnelle.

Le 22 septembre, lors des ordinations de Saint-Éloi à Bordeaux pour le compte de l'Institut du Bon Pasteur, le cardinal Castrillon Hoyos, au cours d'un prêche très surnaturel sur l'apostolat sacerdotal, avait eu ce mot pour caractériser les sociétés de prêtres traditionalistes : ce sont « des instituts spécialisés ».

Les évêques devront cesser d'interpréter grossièrement le Motu proprio pontifical, en lui faisant dire ce qu'il ne dit pas. Et à ce moment-là tout naturellement, les prêtres traditionalistes, sortant des dits Instituts spécialisés, se mettront au service des diocèses, pour une pastorale qui n'aura pas peur d'être plurielle. Quitte à enseigner à leurs confrères ce dont ils ont été sevrés. Est-ce un rêve ? Plutôt, je crois, le mouvement inéluctable des événements. Oui : quelque chose comme la marche du siècle.

Abbé Guillaume de Tanoüarn

Avez-vous (bien) compris le Motu proprio ? - Guillaume de Tanoüarn

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 2

Avez-vous (bien) compris le Motu proprio ?

La construction du Motu proprio voulu par Benoît XVI pour libérer la célébration du rite traditionnel semble étrange lorsqu'on réfléchit au fonctionnement habituel de l'Église catholique. Il ne faut pas gommer cette impression d'étrangeté, ce serait trop facile, mais plutôt tenter de l'expliquer.

Alors que beaucoup d'évêques dans le monde pratiquent à l'égard du Motu proprio une « désobéissance silencieuse », comme dit le cardinal Castrillon Hoyos, on est bien obligé de constater que la mise en œuvre de ce gigantesque chantier de réhabilitation se poursuit par les deux biais que le pape avait prévus : les laïcs d'une part ; le Vatican d’autre part.

Au Vatican tout d'abord, on assiste à un changement de discours tout à fait considérable. Aux premiers jours de sa publication, on insistait plutôt sur la dimension de réconciliation avec la Fraternité Saint Pie X, nommée explicitement dans la Lettre d'accompagnement signée par Benoît XVI. Mais le texte du Motu proprio lui-même rend un son bien différent. La longue introduction qui précède les douze articles législatifs montre que l'œuvre de Benoît XVI en matière liturgique doit être placée dans ce temps long, qui est le temps de l'Église universelle elle-même. Au cours d'un entretien donné à l'Osservatore romano, journal officiel du Vatican, le 20 novembre dernier, Mgr Ranjith, secrétaire de la Congrégation pour le culte divin, souligne l'importance de ce temps long pour une interprétation correcte du Motu proprio. Il cite l'encyclique de Pie XII, Mediator Dei (1947), et il montre que la constitution conciliaire Sacrosanctum concilium s'est inspirée de la perspective de Pie XII, pour rappeler à tous les fidèles : « La liturgie est considérée comme l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ » (n. 7). Comment ne pas voir en effet que le Motu proprio n'a pas été rédigé uniquement à destination de la FSSPX ? On peut même dire que les congrégations Ecclesia Dei, dont la FSSPX pourrait faire partie si elle le souhaitait, sont les grandes oubliées de ce texte sur la liturgie. Il n'est pas question de leur rôle. Cela montre bien que dans son principe, le Motu proprio ne s'adresse pas seulement à une partie des fidèles (ceux qui auront fait confiance, pour la transmission de la foi dans leurs familles, à des Communautés Ecclesia Dei) mais à tous. Comme l'explique Benoît XVI aux évêques, dans sa lettre d'accompagnement, la liturgie dite de saint Pie V (la forme extraordinaire du rite latin) possède des qualités que la forme ordinaire ne manifeste pas suffisamment. Et de donner en exemple le sens du sacré.

Le “coup de semonce” de Mgr Ranjith

On peut donc, sans paradoxe, supposer que le Motu proprio n'est pas destiné seulement à autoriser la forme extraordinaire du rite, mais que chacun, quelle que soit la forme du rite qu'il célèbre, doit en prendre de la graine. L'encyclique de Jean Paul II Ecclesia de eucharistia (2003) et l'exhortation apostolique Redemptionis sacramentum allaient également dans ce sens. « La sainte Messe est un sacrifice, un don, un mystère, indépendamment du prêtre qui la célèbre. Le protagoniste de la messe, c'est le Christ » explique Mgr Ranjith.

On comprend mieux peut-être pourquoi le même Mgr Ranjith avait déjà envoyé un premier coup de semonce le 5 novembre, en exhortant pasteurs et fidèles à obéir au Motu proprio : « Vous savez qu'il y a eu de la part de quelques diocèses des documents d'interprétation qui visent inexplicablement à limiter le Motu proprio du Pape ». Et ailleurs : « Franchement je ne comprends pas ces formes d'éloignement et – pourquoi pas – de rébellion contre le pape ».

Cette déclaration, intervenant dans le contexte de la visite privée du cardinal Castrillon au pape, semble nous porter comme un écho de cette entrevue. Ce n'est un secret pour personne que Mgr Ranjith est un bouillant (la dernière fois que je l'ai rencontré, il nous a expliqué que ceux parmi les catholiques, qui ignoraient la crise de l'Église, lui faisaient penser à Néron jouant de la harpe durant l'incendie de Rome). Mais il veut être le factotum du pape et en l'occurrence sa liberté de ton et son entretien dans l'Osservatore romano semblent bien indiquer que Benoît XVI est décidé à passer à la vitesse supérieure dans l'application du Motu proprio, en intéressant tous les catholiques, de quelque bord qu'ils soient, à sa mise en œuvre.

Le pape en appelle aux laïcs

On sait que plutôt que de s'appuyer sur les évêques, il a voulu en appeler aux laïcs et aux curés.

Et il se trouve qu'en France tout au moins, après une brève période de latence, les groupes stables, réclamant la messe traditionnelle à leurs curés, se multiplient. À Paris je sais que des fidèles sont impliqués dans le Ve, le XIVe et le XVIe arrondissement. En tant que responsable du Centre Saint-Paul, je suis très fier de cet engagement. On peut citer aussi Saint-Maur-des-Fossés (94), où le groupe stable compte quelque 200 personnes. Et puis, à côté de Courtalain, c'est l'association Protridentin, qui dialogue avec Mgr Pansard évêque de Chartres. Je n'oublie pas le combat de Paix liturgique, qui, après avoir arraché une messe à Mgr Daucourt (en ce moment à Saint-Cloud, avec un auditoire entièrement renouvelé) entreprend une vaste opération de prise de conscience à Paris et en province.

Disons-le tout net : si parmi vous, dans n'importe quel diocèse, tel ou tel voulait fonder un de ces groupes stables, à la constitution desquels le Motu proprio nous invite, qu'il sache que ce n'est pas difficile. La loi de 1901 permet de constituer des associations par simple dépôt en préfecture d'un Bureau (trois personnes) et de statuts (on en trouve des quantités prérédigés sur Internet). Pourquoi ne pas utiliser ce moyen pour rendre plus visibles nos groupes stables ? Voilà de la saine laïcité !

Le Motu proprio suppose un engagement clair de l'autorité suprême : c'est ce que la Congrégation pour le Culte divin nous donne à voir, en ce mois de novembre. Mais le pape compte avant tout sur les laïcs, conformément aux dispositions prises par le concile Vatican II. Alors : au travail !

Abbé G. de Tanoüarn

L’événement - Les orthodoxes ont signé

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 3

L’événement - Les orthodoxes ont signé

Les accords de Ravenne inaugurent une nouvelle phase du rapprochement entre catholiques et orthodoxes. Ce qui est fait et... ce qui reste à faire.


A la fin du pontificat de Jean-Paul II l'oecuménisme apparaissait comme en perte de vitesse. Après les retrouvailles de 1995 avec le Patriarche Bartoloméos et la grande espérance d'un rapprochement entre Rome et Constantinople, les projets ont paru tourner court. La Commission mixte qui se réunissait pour discuter de la question de l'autorité dans l'Église a dû interrompre ses travaux durant sept longues années. Il faut reconnaître que le battage au sujet de grands événements interreligieux sur le modèle de la réunion d'Assise en 1986, ont largement contribué à détourner l'attention. Au lieu de réfléchir à une unité de tous les chrétiens dans la Tradition catholique (c'est-à-dire universelle) – ce qui est la définition de l'oecuménisme – on a tenté de promouvoir de grands coups médiatiques, fondés sur des idées fort obscures, comme celle selon laquelle nous avons tous le même Dieu. Dans cette dernière perspective, la raison humaine substituait en fait ses propres schémas – et ses concepts – à la Parole transmise et à la fidélité inconditionnelle qu'elle nous commande.

L'avènement de Benoît XVI a largement contribué à clarifier cette situation. Désormais, comme le soulignait récemment le cardinal Kasper, « l'oecuménisme n'est plus une discussion, c'est un mandat ». Et, comme aux conciles de Lyon (1274) et de Florence (1338), le premier souci est celui de l'unité à réaliser en surmontant le schisme de 1055 : pour qu'enfin l'Église respire avec ses deux poumons!

Dans ce contexte le document signé à Ravenne concernant l'autorité dans l'Église, publié le 23 novembre dernier, est d'une extrême importance. Hélas, les orthodoxes eux-mêmes se sont divisés, puisque seuls étaient présents les représentants de Constantinople, ceux de Moscou ayant claqué la porte! Il faut tout de suite ajouter que Moscou n'a aucune hostilité sur le fond contre cet accord, ainsi que nous le précisait le mois dernier dans ces colonnes le Père Alexandre Siniakov. La querelle était interne aux orthodoxes, elle manifeste combien est fragile la cause de l'unité des chrétiens.

Le cardinal Kasper, dont on doit craindre les dérapages sans nier la compétence, a lui-même déclaré au Consistoire du 23 novembre: « Pour la première fois, les Églises orthodoxes nous ont dit Oui, il y a conciliarité, synodalité et autorité. Elles reconnaissent cela au niveau universel de l'Église. Cela veut dire qu'il y a même un primat, selon la Tradition de l'Église ancienne ». Mais il re connaît aussitôt : « Sur la nature des privilèges de l'Église de Rome, nous avons indiqué seulement les grandes lignes ».

Autrement dit, un accord se dégage pour reconnaître le Primat romain. Les discussions entre orthodoxes et catholiques portent sur la manière dont doit s'exercer l'autorité suprême dans l'Église.

En ce point, il faudrait sans doute que Rome revienne non pas seulement à la doctrine de l'Église sacrement; comme il est annoncé de façon fort conciliaire dans le titre du document, mais à sa théologie bimillénaire de l'autorité. Au lieu de vouloir faire reconnaître un pouvoir administratif au niveau universel (pouvoir qui est celui du Patriarche dans son Patriarcat), ne faudrait-il pas insister sur le fait que le pouvoir de gouverner est strictement subordonné au pouvoir d'enseigner. Pour paraphraser saint Augustin, c'est dans la mesure où Rome parle que la cause est entendue. Le gouvernement romain, en tant qu'il est universel, tire sa légitimité du Magistère pontifical, et de rien d'autre. Aujourd'hui ce sont ces catégories antéconciliaires (supériorité du Magistère sur la juridiction) qui feront avancer la cause de l'union des chrétiens dans l'unité catholique.

Pour être plus simple, si Rome se centre sur son charisme d'infaillibilité, tel qu'il a été défini à Vatican I, revendiquant de l'exercer de façon ponctuelle en fonction des besoins de l'Église universelle, elle présiderait efficacement à la charité, sans fa i re peser en dehors du Patriarcat d'Occident, un pouvoir humain, trop humain, dont les Orientaux ont sans doute raison de se méfier.

Abbé G. de Tanoüarn

Peut mieux faire ! - Les Scouts d’Europe en perdent leur latin…

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 3

Peut mieux faire ! - Les Scouts d’Europe en perdent leur latin…

Un prêtre de Notre-Dame-des-Armées (FSSP) avec eux, les routiers du clan St. Louis de Versailles marchent vers Vézelay. Avec eux des anciens de la troupe du Chesnay aux foulards marqués d’un ESF, encore des « tradis » ! Pour eux et d’autres troupes, le motu proprio était la possibilité de célébrer selon le rite de saint Pie V librement, sans faire l’objet de dérogations particulières.

La lettre de M. Mougenot pour les hautes instances internationales, donnait bon espoir. « Est légitime tout rite dûment approuvé par le Siège apostolique.» L’association n’a pas à prendre position sur des textes du magistère, mais « à les recevoir filialement. » Le 9 octobre, la fédération française prenait un autre chemin. Afin d’assurer la « paix » et « l’unité » au sein du mouvement, les querelles liturgiques en sont exclues. Tant mieux ! Mais la mise en pratique ouvrait une perspective plus sombre : « La forme ordinaire du missel sera choisie pour toutes les activités scoutes et guides […]. » Ce désir d’unité pouvait se comprendre, mais qu’en serait-il des unités célébrant ou désirant célébrer suivant le rite de saint Pie V ? « La situation des groupes actuellement autorisés à célébrer selon l’ancien missel sera bien sûr examinée avec l’évêque du lieu.»

Première mise en application de ces décisions, l’abbé Loiseau célébrant en saint Pie V n’a pu constituer un groupe FSE sur le territoire de sa paroisse.

Réaction : démission de chefs, menaces de départs de troupes. Pour certains commissaires la question était claire. Une célébration scoute en plein air hors de tout « cadre paroissial est canoniquement assimilée à une célébration privée. » Toute célébration en rite de saint Pie V est donc possible.

Le 15 octobre les commissaires généraux tentaient de nuancer leur discours : maintiens de leurs positions anciennes, mais pas de retour sur les dérogations antérieures concernant la possibilité pour certaines unités de célébrer en rite de saint Pie V. Position confirmée par un communiqué de presse du 17 novembre, le statu quo est de rigueur. Motu propio ou pas.

Jansen

C’est à lire - Agatha Christie avec Jean Madiran

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 4

C’est à lire - Agatha Christie avec Jean Madiran

Jean Madiran, le fondateur du quotidien Présent, revient sur ce qui sera sans doute le combat le plus marquant de sa vie, le combat pour la défense du rite traditionnel de la messe. Il nous propose aujourd'hui le premier « fascicule » d’une Histoire de la messe interdite, qui en comportera plusieurs. Fourmillant d'anecdotes significatives l’auteur manifeste une hauteur de vue qui ne se dément pas tout au long de sa longue bataille pour le retour de la messe en latin dans les églises. Simple problème cultuel ? Affaire interne à l'Église ? Non, l'abandon de la messe marque l'ouverture d'une véritable crise de civilisation. Dès le mois de janvier 1970, dans la revue Itinéraires, Jean Madiran écrivait ceci : « Qu'on n'imagine pas que l'on pourra aisément faire l'aller et retour d'une messe à l'autre. Ce qui est interrompu sera perdu pour longtemps. (...) Ceux qui ont la possibilité de maintenir, fût-ce à l'écart, en petits groupes, en catacombes ou en ermitages, la liturgie romaine et le chant grégorien, en tiennent le sort historique entre leurs mains ». Le ton est donné ! Le 6 juillet 1971, un groupe d'intellectuels de toutes religions publiait dans le Times de Londres un appel au Saint Père, qui fait entendre la même musique : « Les signataires désirent attirer l'attention du Saint Père sur l'effrayante responsabilité qu'il encourrait dans l'histoire de l'esprit humain, s'il refusait de permettre la survie de la messe traditionnelle, même si c'était côte à côte avec d'autres formes liturgiques ». Parmi les signataires Agatha Christie, l'instigatrice de cet appel, puis Roger Caillois, Yehudi Menuhin, Graham Greene, Henri de Montherlant, Julien Green etc.

Paul VI ne répondit ni à l'un ni aux autres. Silence. L'interdiction du rite immémorial dit de saint Pie V s'effectue, comme tous les grands abus de droit du XXe siècle, comme les génocides, par simple voie administrative. Et tout le monde sait que l'administration, qu'elle soit ecclésiastique ou laïque, n'est guère loquace, lorsqu'on tente de lui demander ses raisons. Jean Madiran montre comment, au gré des circulaires auto-justificatives, progresse l'interdiction de la messe latine, sans que cela soit même un sujet de discussion possible. On ne sait pas qui a pris la décision. Il y a deux circulaires anonymes de la Congrégation pour le culte divin, l'une le 11 juin 1970, l'autre le 14 juin 1971. Sans plus de précisions, la Documentation catholique, qui publie en français la seconde, intitulée Notification, annonce triomphalement en… note : « En France, la célébration de la nouvelle liturgie est obligatoire depuis le 1er janvier 1970 ». Le pape Paul VI ne se prononcera explicitement sur ce sujet que le 24 mai 1976, en annonçant la chose faite et la messe latine enterrée… L'enquête autour de ce que l'on veut voir comme un cadavre est menée de main de maître et dans le moindre détail par Jean Madiran, qui, comme détective de l'horreur ecclésiastique, peut bien être comparé… à Hercule Poirot !

Joël Prieur


Jean Madiran, Histoire de la messe interdite, éd. Via romana 2007, 122 pp. 17 €

Facta sunt

Objections - n°12 - décembre 2007 - pages 4 et 5

Facta sunt

  • La Commission Ecclesia Dei est loin d'avoir dit son dernier mot. Elle prépare un document (à publier avant Noël) sur l'interprétation du Motu proprio, pour éloigner les erreurs plus ou moins volontaires qui ont fleuri autour de ce texte, libéralisant la messe traditionnelle. Le cardinal Castrillon, récemment reçu en audience privée par le pape à ce propos, n'hésite pas à stigmatiser « la désobéissance silencieuse » au Motu proprio. Il est également question d'envoyer de Rome une circulaire à tous les séminaires du monde pour offrir aux séminaristes les moyens d'apprendre à célébrer selon la forme extraordinaire du rite latin.

  • Pas d'absentéisme face à l'islam. Sur ce chapitre, nos évêques haussent le ton. « La liberté religieuse est-elle respectée, lorsqu'un jeune musulman qui se convertit au christianisme, est ensuite menacé de mort par ses coreligionnaires ? » C'est Mgr Éric Aumônier, évêque de Versailles, qui a adressé cette simple question à l'assemblée de ses pairs, réunie à Lourdes. Le “parler vrai” dont se targue Mgr Vingt-Trois est en train de faire des émules. On attend avec impatience la réponse mise en forme à cette solennelle question d'évêque. Dans le sermon de l'évêque de Paris aux étudiants à Notre-Dame, on trouve cette constatation tout aussi stimulante : « Il n'est pas possible que l'on se contente de se lamenter sur le fait que telle ou telle minorité impose sa manière de faire, si habituellement on est soi-même absent des lieux, des organismes, des mouvements qui peuvent influer sur la vie collective ».

  • Autre petite phrase, de Mgr Vingt-Trois, qui semble avoir un compte à régler avec la tentation communautariste : « Être chrétien dans ce monde n'est pas simplement nous mettre en prière à heures fixes, fût-ce plusieurs fois par jour. C'est vraiment nous mêler des affaires de ce monde, parce que les affaires de ce monde transforment la vie des hommes, les rendent plus heureux ou plus malheureux, font grandir leur liberté et leur capacité de vivre ou au contraire les restreignent ». Dans son discours de clôture, tout en insistant dans la même veine, sur « la volonté de partage avec nos contemporains », il insiste sur l'évangélisation, en précisant qu'il lui importe peu qu'elle soit « ancienne ou nouvelle » : « C'est une tâche permanente, dont on ne peut jamais présumer qu'elle soit achevée », note-t-il. Eh bien : au travail !

  • Benoît XVI est très demandé. En plus des JMJ de Sydney, qui auront lieu à la fin du mois de juillet prochain, le souverain pontife est attendu aux États-Unis en avril. À cette occasion, il s'exprimera aussi à New York devant l'Organisation des Nations Unies. Enfin la nouvelle présidente argentine souhaite que Benoît XVI puisse venir en visite dans son pays au cours de l'année 2008. Le rayonnement international de ce pape discret ne le cède en rien à celui de Jean-Paul II, même si son charisme est différent.

  • Le Père Xavier Léon-Dufour est mort à l'âge de 96 ans. Né à Paris en 1912, entré à la Compagnie de Jésus à 17 ans, il est ordonné prêtre en 1943. Ses thèses sur la résurrection du Christ sont pour le moins sulfureuses, mais jusqu'à son dernier souffle, il est resté un fils de saint Ignace, biographe précis de saint François-Xavier, avant tout préoccupé de l'avenir de l'Église… Son commentaire monumental de l'Évangile de saint Jean (4 volumes aux Éditions du Seuil, où il fait la part de ce qui est scientifique dans son analyse et de ce qu'il nomme lui-même les “ouvertures”) reste le chef-d'œuvre incontestable de sa vieillesse. Le titre de son dernier livre définit parfaitement sa physionomie sacerdotale : Agir selon l'Évangile.

  • Pierre Pujo est mort dans la nuit du vendredi 9 au samedi 10 novembre, après une vie au service de l'Action française. Critiqué par certains pour son omniprésence à la tête du mouvement maurrassien, il laisse un héritage difficile à recueillir. La très nombreuse jeunesse qui était présente, au milieu d'une assistance très dense, lors de ses obsèques à la Madeleine à Paris, manifestait pourtant combien la pensée maurrassienne et l'espérance royale demeurent vives aujourd'hui. Qui a dit que la jeunesse était en panne d'engagement ?

C’est à voir - Paris romantique

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 5

C’est à voir - Paris romantique

Deux expositions emblématiques du romantisme, au programme à Paris (l'une il est vrai plus importante que l'autre), toutes deux illustrant des peintres français.

Ils ont une douzaine d’années d'écart : l'un naît en 1797, il pourrait bien être le fils caché de Talleyrand ; l'autre en 1810, d'une famille de notables comtois. L'un est un libéral tolérant, sensible au lyrisme de la Révolution française (La Liberté guidant le peuple est dans tous les manuels d'histoire). L'autre un socialiste. Ami de Proudhon, dont il fera le portrait, on l’ accusa d'avoir déboulonné la Colonne Vendôme, durant la Commune en 1871 (ce qui le conduira quelques mois à Sainte-Pélagie). Il s'agit d'Eugène Delacroix et de Gustave Courbet.

L'un et l'autre marqués par le romantisme, leurs œuvres sont aux antipodes, preuve, s'il en était besoin, qu'il ne faut jamais se fier aux classifications scolaires, lorsqu'on a affaire à des génies.

L'exposition Delacroix et ses amis, nous introduit dans l'ancien atelier de l'artiste, transformé en musée. Il n'est pas question d'y voir les grands tableaux qui ont fait le prestige de Delacroix, ni Sardanapale ni Fantasia. Mais, à travers estampes et esquisses ou portraits, on saisit l'ambiance dans laquelle l'œuvre est née. Des copies en réduction du Radeau de la Méduse de Géricault (jeune ami de Delacroix, mort précocement d'une chute de cheval) et de la Barque de Dante (œuvre de Delacroix, inspirée du Radeau) attire l'attention du promeneur. Pour le reste, on peut évidemment se rendre au Louvre tout proche, ou pousser jusqu'à l'église Saint-Sulpice où une chapelle est décorée par Delacroix, avec en particulier Le combat de Jacob avec l'ange, emblématique non seulement de l'esthétique mais de la spiritualité romantique.

L'exposition Courbet au Grand Palais a une autre dimension. Il s'agit d'une rétrospective englobant tous les aspects de l'art du peintre. Audace, naïveté, culte du moi, on retrouve dans le soi-disant “réalisme” de Courbet tous les ingrédients du romantisme. Ses toiles sont souvent de véritables manifestes, à commencer par la quinzaine d'autoportraits qui ouvrent l'exposition. Et les trois truites qui les ferment, dont on nous dit, le plus sérieusement du monde, qu'elles sont elles aussi… des autoportraits. Le Portrait de l'artiste en fou qui sert d'affiche à l'exposition (et un autre, dans lequel il se dit « fou de peur »), sont d'une grande originalité. Dans Un enterrement à Ornans, l'artiste nous montre le petit peuple, en utilisant un format réservé aux grandx tableaux historiques : le prêtre en chape et goupillon, c'est donc encore… de la politique ! Courbet doit exposer cette toile à ses frais : elle est refusée au Salon de 1 854. Au deuxième étage, les paysages, les scènes de chasse et les natures mortes sont souvent, il faut bien le dire, de qualité moindre. Quant aux nus, ils sont d'une très expressive impudeur.

Courbet est grand quand il a voulu être grand, lorsqu'il provoque ou lorsqu'il se raconte. En cela, il représente ce romantisme du désir que Delacroix évoque dans son Journal, « un désir infini de ce que l'on n'obtient jamais, un vide que l'on ne peut combler, une extrême démangeaison de produire de toutes les manières ».

Joël Prieur


Delacroix et ses amis de jeunesse, 6 rue de Furstemberg, 75006, du 23 novembre au 25 février 2008.

Gustave Courbet, Grand Palais, Du 13 octobre 2007 au 28 janvier 2008.

L’humeur - Questions autour d’un feu de banlieue

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 6

L’humeur - Questions autour d’un feu de banlieue

En deux jours, un commissaire de police frappé à coups de barre de fer et hospitalisé, plus de quatre-vingts policiers et pompiers blessés, dont cinq grièvement, l’un d’entre eux touché à l’épaule par une balle de gros calibre, un poste de police incendié et un autre saccagé, un garage, deux écoles, une bibliothèque, un supermarché et des dizaines de voitures brûlés, de nombreux magasins pillés… Scènes de guerre civile en Palestine, au Liban ou au Congo ? Non, mais plus simplement à Villiers-le-Bel et dans cinq autres communes du Val d’Oise.

Les vraies questions ne portent pas sur le « sentiment d’être des citoyens de seconde zone » qu’éprouveraient encore les populations issues de l’immigration – à l’heure où Rachida Dati est ministre de la Justice, Fadela Amara secrétaire d’État à la politique de la Ville et Yama Rade secrétaire d’État aux Droits de l’Homme ; ni sur les millions d’euros que l’on ne manquera pas de déverser, une fois de plus, sur les cités, pour parvenir à y acheter un éphémère retour au calme.

Ces questions sous-jacentes sont d’un autre ordre. Est-il encore possible de dissoudre les ghettos et les enclaves qui se sont créés sur le territoire national, à la faveur d’une politique d’immigration incontrôlée ?

Le gouvernement aura-t-il le courage et la fermeté de prendre dans les plus brefs délais les mesures les plus propres à ramener l’ordre, en montrant aux voyous des cités que la récré est finie et que l’heure est venue de payer les dégâts et de porter la responsabilité de leurs actes ? Il est permis d’en douter, quand on compare le nombre des policiers et pompiers blessés à celui des casseurs interpellés : moins d’une quinzaine au cours des deux premières nuits d’émeutes.

En finira-t-on avec la culpabilisation du peuple français et le mea culpa intellectuel et médiatique permanent, qui incite les jeunes des cités en général, et les voyous en particulier, à se cultiver une mentalité de victimes, envers lesquelles les Français auraient une dette ?

Les vagues d’immigration précédentes ne se sont pas intégrées – elles se sont assimilées. Cette assimilation était plus aisément réalisable, parce qu’il s’agissait de populations européennes, catholiques de culture – et souvent de foi, mais aussi parce que ces immigrés-là considéraient l’acquisition de la nationalité française comme un but à atteindre, une récompense et un honneur. Nos « mea-culpistes » en ont tant fait que les jeunes des banlieues n’ont aucune envie de se fondre dans la nation française et que le qualificatif de « français » a pris, dans les cités, une connotation très nettement injurieuse. Comment en irait-il autrement, puisqu’on les persuade que cette nation est criminelle, raciste et lâche, et que l’identité nationale se rapporte à la possession d’une carte qu’ils obtiendront automatiquement à 18 ans, s’ils ne la refusent pas avec mépris ?

La dernière question qui se pose, non seulement à nos gouvernants, mais à l’ensemble des Français, engage l’avenir même de la nation française. D’ici 2040, les naissances d’enfants issus de l’immigration extra-européenne seront supérieures aux naissances d’enfants de « souche » française. Les Français ne font plus d’enfants – et les autres peuples européens n’en font pas plus. Des peuples jeunes et pauvres, de l’autre côté des mers, regardent avec envie cette Europe riche, égoïste et vieillissante, engoncée dans le déficit démographique et dans le matérialisme. Notre destin est inscrit dans cette comparaison, beaucoup plus sûrement lisible que dans une boule de cristal. Est-il encore temps de modifier le cours de l’histoire ?

Pierre Voisin

C’est eux qui le disent…

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 6

C’est eux qui le disent…

  • « Vous trouvez encore le temps d'aller à la messe ? » demande Florence Belkacem à Christine Boutin dans VSD du 21 novembre. « – Oui et heureusement. Donner une heure de sa vie dans une semaine, ce n'est vraiment pas beaucoup. Et si cela permet de recouvrer l'équilibre, c'est un bel investissement » répond la ministre de la Ville. Équilibre et réalisation personnelle ou justice envers Dieu et don de soi sans arrière-pensées ? Christine Boutin a jugé plus simple d'expliquer aux lecteurs de VSD son comportement religieux comme une modalité particulière de la consommation et de la recherche du bien-être. La messe mieux que les psychotropes ? Oui pour la galerie, mais certainement pas pour se déterminer soi-même.

  • Ados en danger titre Match du 22 novembre. On apprend que parmi les ados il y a une baisse de 36 % des morts par suicides entre 1993 et 2004, mais le nombre des TS (en particulier par somnifères surtout chez les filles) n'a jamais été aussi élevé. « Un rapport alarmant remis au président de la République indique que 15 % des 11-18 ans sont en grande souffrance. Le malaise des adolescents commence plus tôt qu'autrefois et se termine plus tard, avec à la clé 40 000 Tentatives de Suicides (TS) par an ». Marie Choquet, qui présente cette enquête, conclut : « Pour devenir adulte un enfant a besoin d'être responsabilisé petit à petit, tout en étant protégé par ses parents. Donner une trop large autonomie à un jeune qui est fragile n'est pas une bonne solution ».

  • Dans Le Point du 11 octobre, Jean Clair, ancien directeur du Musée Picasso, s'exprime sur l'art, la culture et la religion : « Nous vivons sur l'idée de Malraux : l'art, c'est ce qui reste quand la religion a disparu. Or, pour d'autres civilisations, l'art n'est rien quand il n'y a pas une religion pour lui donner un sens. Le docteur Faustus de Thomas Mann dit qu'une culture qui se détache du culte n'est plus qu'un déchet. Appeler cette religion post-religieuse comme vous voulez : idéal politique, utopie sociale, laïcité, progrès des Lumières, droit de l'homme, libre-pensée, nationalisme, humanisme, transhumanisme, messianisme marxiste… Le fait est que l'art qui a tenté de se développer sur ces “déchets” n'a pas donné d'aussi beaux fruits que l'art des autres siècles. Hegel avait parfaitement vu cela, quand il parlait de l'art comme d'“une chose du passé” ». L'art contemporain qui fait profession de l'être est trop souvent ce “déchet”, inassimilable par le public (pour un développement : Jean Clair : Malaise dans les musées, Flammarion 12 euros).

L’entretien du mois - René Girard

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 7

L’entretien du mois - René Girard

Anthropologue, René Girard est l'un des derniers penseurs qui compte. Sa théorie du désir mimétique répond à Freud et à Levi-Strauss. Mais ce travail fondamental ne l'empêche pas d'être en prise sur notre histoire et même sur l'actualité qu'il tente de décrypter. Après Achever Clausewitz, il prépare un livre sur les États-Unis et la France. Voici sur ce sujet comme en avant-goût, notre discussion. À bâtons rompus...

René Girard, vous êtes sans cesse entre deux mondes, les États unis et la France. Que diriez-vous de la situation aux États-Unis actuellement ?

Il y a là-bas un changement qui étonnerait Tocqueville…

Parlons de ce changement, mais d'abord parlons de l'Église catholique aux États-Unis…

Lorsque j’y suis arrivé, il y a 50 ans, il y avait parmi les catholiques 70 % de pratiquants. Aujourd'hui il y a 70 millions de catholiques, vous vous rendez compte ! Cela ferait un chiffre énorme ! Mais actuellement, il reste 30 % de pratiquants. La différence, pour une large part, c'est le Concile, non : plutôt le clergé conciliaire qui en est responsable. Mais c'est encore considérable par rapport aux chiffres européens. Enfin, nous, nous avons une messe grégorienne et nous y sommes très attachés. C'est un professeur de Stanford qui organise cela. Et puis, de manière générale, les jeunes prêtres donnent l'impression d'être solides, costauds, conservateurs, traditionalistes. Ce qui est étonnant, c'est l'étonnement de ces milieux progressistes qui s'imaginaient que le christianisme pourrait continuer sur la lancée progressiste, qu'il y aurait des vocations sacerdotales au bout de 25 ans qui resteraient semblables à ce qu'avait été la leur dans les années 60. Il suffit de réfléchir, n'est-ce pas, c'est absolument impossible. Pour qu'il y ait vocation, il faut qu'il y ait un motif d'engagement, qui ne pourrait pas être la dissolution générale et le laisser-aller. On a l'impression que cela n'était pas venu à l'esprit de ce clergé progressiste.

Quel est le rôle de l'Église catholique aux États-Unis ?

Déjà il y a trente ans, c'était les Catholiques les plus conservateurs qui étaient contre la guerre du Vietnam, parce qu'ils disaient : le pape a dit, le pape condamne. On peut dire : « Le pape a dit… » aux États-Unis. Les Protestants ont beaucoup plus conscience que les Catholiques eux-mêmes de l'unité catholique. Prenez l'intellectuel catholique, c'est quelque chose de très très important. Il y a un journal catholique qui s'est déclaré contre la guerre en Irak dès le début. Parce que le pape avait parlé, cela n'a pas posé de problème. Il faut dire qu'il y a quelque chose comme 13 000 églises protestantes aux EU… Ce que les Protestants voient c'est que l'unité catholique est en train de triompher du protestantisme. La papauté qui a été tant maudite aux États-Unis manifeste aujourd'hui pour tous l'unité. Certains considèrent même que le pape reste la seule voix qui puisse parler pour l'Occident dans son ensemble.

Vous estimez que la guerre en Irak est une erreur ?

Ce que Bush a fait de terrible c'est qu'il a discrédité une résistance raisonnable de l'Occident au terrorisme islamiste, une attitude qui soit raisonnable mais ferme en même temps. Aujourd'hui l'Américain moyen n'est pas prêt à résister. Devant ses yeux, on a utilisé à des fins politiques locales une situation qui en elle-même est grave et sérieuse. Du coup, on s'est interdit une véritable stratégie vis-à-vis de ces problèmes. Aujourd'hui la situation politique est tellement tendue qu'aux États unis en tout cas, l'on rend la situation psychologiquement impossible pour les musulmans. Ils ont conscience du mensonge dans lequel vit la communauté dont ils font partie. Mais ils ont des supériorités sur nous, ils sont vertueux d'une certaine façon, dans le matérialisme ambiant.

Je pense qu'étant donné la situation actuelle, s'en prendre trop à l'islam, c'est mettre les musulmans dans une situation impossible. Je ne dis pas qu'il ne faut pas dire aux islamistes leur fait… Mais vous comprenez, il y a ce refus absolu de la violence que devrait être le christianisme. Mais comme sur ce point, le christianisme n'a pas toujours été vraiment chrétien, de fait, c'est difficile de faire la leçon aux autres… C'est un peu comme les Américains qui essaient d'expliquer aux Chinois et aux Hindous qu'il ne faut plus de voiture !

Que pensez-vous de l'évolution de la démocratie américaine ?

Le génie de la démocratie américaine, c'est que tout finissait par se passer au centre. Et cela parce que chacun des deux partis - Républicain et Démocrate - contenait son contraire comme une minorité à l'intérieur de lui-même. Les démocrates, réputés plus à gauche selon les critères européens, comptaient dans leur sein les démocrates du sud – les fameux sudistes – qui, pour des raisons historiques, étaient très réactionnaires. Aujourd'hui les sudistes sont devenus républicains ! C'est une victoire de l'idéologie, l'idéologie est devenue sans limites, il n'y a plus que de l'idéologie et par conséquent les rapports s'aigrissent… Chez les Républicains aussi il y avait des gens qui étaient plus libéraux, des gens qui étaient très modérés, qui représentaient un milieu très modéré à l'intérieur du Parti conservateur. Et donc des deux côtés la majorité était en quelque sorte modérée par une minorité qui ressemblait à l'autre parti. Il n'en est plus de même aujourd'hui ! De toute façon l'Amérique s'idéologise beaucoup trop ce qui empêche que soient prises des décisions raisonnables. Des décisions qui ne soient pas inspirées par la politique, par le souci politicien. On a vraiment l'impression parfois, nous autres Français, que les EU sont en train de s'enfoncer dans une troisième ou une quatrième république… à la mode de chez nous…


Entretien réalisé par Arnaud Guyot-Jeannin et l'abbé G. de Tanoüarn

Éditorial - Une religion comme une autre ? - Laurent Lineuil

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 8

Éditorial - Une religion comme une autre ?

Ce sont les catholiques français qui le disent : d’après un sondage Ifop publié dans La Croix le 12 novembre, ils sont 60 % des catholiques non-pratiquants, et 63 % des pratiquants à considérer que « toutes les religions se valent ». Consternation supplémentaire : les catholiques pratiquants sont un peu plus nombreux à penser cela, et, que l’ensemble des Français, qui n’émettent ce jugement “qu’à 62 %”.

Ainsi donc, si l’on en croit ce sondage, les deux-tiers des catholiques qui vont à la messe “régulièrement” pensent que le catholicisme est une religion comme une autre, ni meilleure, ni pire. Plus inquiétant encore, ils sont donc plus nombreux encore à croire cela que les non-pratiquants. Comme si la seule chose qu’on apprenait dans les prêches dominicaux, c’était le mépris de soi et la survalorisation de l’autre…

Si 59 % des pratiquants estiment que les chrétiens doivent être plus visibles dans la société (on se demande bien pourquoi, puisqu’ils sont comme les autres…), c’est dans l’objectif d’ « agir pour la paix dans le monde » (54 %) et de « lutter contre la pauvreté » (46 %), contre 34 % seulement (alors même que plusieurs réponses étaient possibles) qui estiment que « les Églises chrétiennes » ont prioritairement à faire connaître le « message du Christ »…

On le voit, Mgr André Vingt-Trois, qui s’était fixé comme objectif, dès son premier discours de nouveau président de la conférence épiscopale, de faire entendre davantage la voix des chrétiens dans la société, ne pourra majoritairement compter que sur des troupes incertaines et peu résolues. Mais à qui la faute ? L’Église de France ne fait que récolter ce qu’elle a semé, le fruit d’années de paroles hésitantes, de soumission zélée à la dictature du relativisme, de peur de déplaire triomphant du courage de témoigner. Car si tant de catholiques croient sincèrement avoir épousé une religion comme une autre, n’est-ce pas d’abord parce qu’ils ont des pasteurs qui sont trop souvent, au lieu de signes de contradiction, des hommes comme les autres, épousant le discours commun, paniqués à l’idée de se distinguer, de se faire remarquer, de jurer avec la logorrhée ambiante ? Combien d’évêques ont soutenu publiquement le combat de Mgr Cattenoz pour l’identité de l’école catholique ? Quel clerc rappelle que le catholicisme a en France des droits supérieurs aux autres religions – ou devrait en avoir -, ne serait-ce que compte tenu du rôle éminent qu’il a joué dans la construction de la nation ? Quel prélat a remué ciel et terre pour empêcher la destruction d’une église dans son diocèse, au nom, non des intérêts de l’Église, mais du bien commun ? Qui a relayé en France le document romain Dominus Iesus, publié en 2000 par la Congrégation pour la doctrine de la foi sous la signature du cardinal Ratzinger, qui réaffirmait qu’ « il serait clairement contraire à la foi catholique de considérer l'Église comme un chemin de salut parmi d'autres. Les autres religions seraient complémentaires à l'Église, lui seraient même substantiellement équivalentes, bien que convergeant avec elle vers le Royaume eschatologique de Dieu » ; et qu’au contraire les fidèles sont tenus de croire fermement que « l'Église est “sacrement universel de salut” [cf. Lumen Gentium] parce que, de manière mystérieuse et subordonnée, toujours unie à Jésus-Christ sauveur, sa Tête, elle a dans le dessein de Dieu un lien irremplaçable avec le salut de tout homme. » Mais pour y croire, encore faudrait-il avoir l’occasion de l’entendre.

Quant aux 66 % de catholiques pratiquants qui n’ont pas pensé à citer l’annonce du message du Christ parmi les missions prioritaires de l’Église, ont-ils souvent entendu leurs pasteurs prêcher sur cette phrase de la 1ère épître aux Corinthiens ? « Annoncer l'Évangile en effet n'est pas pour moi un titre de gloire ; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile ! » Et malheur aux pasteurs qui sont, pour leur troupeau, de si piètres éducateurs.

Laurent Lineuil