Objections - n°12 - décembre 2007 - page 2
Avez-vous (bien) compris le Motu proprio ?
La construction du Motu proprio voulu par Benoît XVI pour libérer la célébration du rite traditionnel semble étrange lorsqu'on réfléchit au fonctionnement habituel de l'Église catholique. Il ne faut pas gommer cette impression d'étrangeté, ce serait trop facile, mais plutôt tenter de l'expliquer.
Alors que beaucoup d'évêques dans le monde pratiquent à l'égard du Motu proprio une « désobéissance silencieuse », comme dit le cardinal Castrillon Hoyos, on est bien obligé de constater que la mise en œuvre de ce gigantesque chantier de réhabilitation se poursuit par les deux biais que le pape avait prévus : les laïcs d'une part ; le Vatican d’autre part.
Au Vatican tout d'abord, on assiste à un changement de discours tout à fait considérable. Aux premiers jours de sa publication, on insistait plutôt sur la dimension de réconciliation avec la Fraternité Saint Pie X, nommée explicitement dans la Lettre d'accompagnement signée par Benoît XVI. Mais le texte du Motu proprio lui-même rend un son bien différent. La longue introduction qui précède les douze articles législatifs montre que l'œuvre de Benoît XVI en matière liturgique doit être placée dans ce temps long, qui est le temps de l'Église universelle elle-même. Au cours d'un entretien donné à l'Osservatore romano, journal officiel du Vatican, le 20 novembre dernier, Mgr Ranjith, secrétaire de la Congrégation pour le culte divin, souligne l'importance de ce temps long pour une interprétation correcte du Motu proprio. Il cite l'encyclique de Pie XII, Mediator Dei (1947), et il montre que la constitution conciliaire Sacrosanctum concilium s'est inspirée de la perspective de Pie XII, pour rappeler à tous les fidèles : « La liturgie est considérée comme l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ » (n. 7). Comment ne pas voir en effet que le Motu proprio n'a pas été rédigé uniquement à destination de la FSSPX ? On peut même dire que les congrégations Ecclesia Dei, dont la FSSPX pourrait faire partie si elle le souhaitait, sont les grandes oubliées de ce texte sur la liturgie. Il n'est pas question de leur rôle. Cela montre bien que dans son principe, le Motu proprio ne s'adresse pas seulement à une partie des fidèles (ceux qui auront fait confiance, pour la transmission de la foi dans leurs familles, à des Communautés Ecclesia Dei) mais à tous. Comme l'explique Benoît XVI aux évêques, dans sa lettre d'accompagnement, la liturgie dite de saint Pie V (la forme extraordinaire du rite latin) possède des qualités que la forme ordinaire ne manifeste pas suffisamment. Et de donner en exemple le sens du sacré.
Le “coup de semonce” de Mgr Ranjith
On peut donc, sans paradoxe, supposer que le Motu proprio n'est pas destiné seulement à autoriser la forme extraordinaire du rite, mais que chacun, quelle que soit la forme du rite qu'il célèbre, doit en prendre de la graine. L'encyclique de Jean Paul II Ecclesia de eucharistia (2003) et l'exhortation apostolique Redemptionis sacramentum allaient également dans ce sens. « La sainte Messe est un sacrifice, un don, un mystère, indépendamment du prêtre qui la célèbre. Le protagoniste de la messe, c'est le Christ » explique Mgr Ranjith.
On comprend mieux peut-être pourquoi le même Mgr Ranjith avait déjà envoyé un premier coup de semonce le 5 novembre, en exhortant pasteurs et fidèles à obéir au Motu proprio : « Vous savez qu'il y a eu de la part de quelques diocèses des documents d'interprétation qui visent inexplicablement à limiter le Motu proprio du Pape ». Et ailleurs : « Franchement je ne comprends pas ces formes d'éloignement et – pourquoi pas – de rébellion contre le pape ».
Cette déclaration, intervenant dans le contexte de la visite privée du cardinal Castrillon au pape, semble nous porter comme un écho de cette entrevue. Ce n'est un secret pour personne que Mgr Ranjith est un bouillant (la dernière fois que je l'ai rencontré, il nous a expliqué que ceux parmi les catholiques, qui ignoraient la crise de l'Église, lui faisaient penser à Néron jouant de la harpe durant l'incendie de Rome). Mais il veut être le factotum du pape et en l'occurrence sa liberté de ton et son entretien dans l'Osservatore romano semblent bien indiquer que Benoît XVI est décidé à passer à la vitesse supérieure dans l'application du Motu proprio, en intéressant tous les catholiques, de quelque bord qu'ils soient, à sa mise en œuvre.
Le pape en appelle aux laïcs
On sait que plutôt que de s'appuyer sur les évêques, il a voulu en appeler aux laïcs et aux curés.
Et il se trouve qu'en France tout au moins, après une brève période de latence, les groupes stables, réclamant la messe traditionnelle à leurs curés, se multiplient. À Paris je sais que des fidèles sont impliqués dans le Ve, le XIVe et le XVIe arrondissement. En tant que responsable du Centre Saint-Paul, je suis très fier de cet engagement. On peut citer aussi Saint-Maur-des-Fossés (94), où le groupe stable compte quelque 200 personnes. Et puis, à côté de Courtalain, c'est l'association Protridentin, qui dialogue avec Mgr Pansard évêque de Chartres. Je n'oublie pas le combat de Paix liturgique, qui, après avoir arraché une messe à Mgr Daucourt (en ce moment à Saint-Cloud, avec un auditoire entièrement renouvelé) entreprend une vaste opération de prise de conscience à Paris et en province.
Disons-le tout net : si parmi vous, dans n'importe quel diocèse, tel ou tel voulait fonder un de ces groupes stables, à la constitution desquels le Motu proprio nous invite, qu'il sache que ce n'est pas difficile. La loi de 1901 permet de constituer des associations par simple dépôt en préfecture d'un Bureau (trois personnes) et de statuts (on en trouve des quantités prérédigés sur Internet). Pourquoi ne pas utiliser ce moyen pour rendre plus visibles nos groupes stables ? Voilà de la saine laïcité !
Le Motu proprio suppose un engagement clair de l'autorité suprême : c'est ce que la Congrégation pour le Culte divin nous donne à voir, en ce mois de novembre. Mais le pape compte avant tout sur les laïcs, conformément aux dispositions prises par le concile Vatican II. Alors : au travail !
Abbé G. de Tanoüarn