Objections - n°12 - décembre 2007 - page 1
Les évêques français dans l’impasse - Abbé Guillaume de Tanoüarn
Le roboratif discours de clôture administré aux évêques français lors de leur assemblée générale à Lourdes au début du mois de novembre par le cardinal Vingt-Trois ne doit pas faire oublier à ces mêmes évêques les difficultés qu'ils rencontrent dans leurs diocèses respectifs, lorsqu'il s'agit d'appliquer le Motu proprio du pape Benoît XVI libérant la liturgie traditionnelle. De cela d'ailleurs, le nouveau patron n'a pas soufflé un mot, laissant chacun affronter la difficulté telle qu'elle se présente à lui. L'attitude générale, comme nous l'avons dit dans le précédent numéro, a été largement édictée dans les réunions régionales de la mi-septembre : la messe traditionnelle peut-être, de temps en temps, mais surtout pas de prêtres venant de l'extérieur : nous avons les mêmes à la maison !
Retour de Lourdes, Mgr Bouilleret, évêque d'Amiens, n'a pas de chance. Il trouve les traditionalistes de la FSSPX dans la rue, ou plutôt devant sa cathédrale, assistant à la messe du dimanche dans le froid de ce mois de novembre, sans qu'apparemment il y ait de place prévue pour eux dans l'hôtellerie diocésaine ! Comment faire ? se demande-t-il. « Avant tout je voudrais distinguer les intégristes et les traditionalistes » déclare l'évêque d'Amiens, bien embarrassé. Aux uns, il est prêt à accorder l'asile politique dans l'Église conciliaire, c'est-à-dire un prêtre « du diocèse » (comme s'il en avait trop !) qui leur dira la messe au compte-gouttes en leur enseignant les bienfaits de Vatican II, le concile qui a fait l'Église telle que nous la voyons aujourd'hui. Aux autres, les sans-papiers, les intégristes, il refuse même de les rencontrer. On ne sait jamais ! Une rencontre peut avoir toutes sortes de conséquences, non prévues dans la feuille de route. Il faut comprendre l'évêque aussi : gouverner c'est prévoir ! Il ne sera sans doute pas si facile de répondre à ces sans-logis de l'Église qui osent venir lui parler droit au logement : « nous avons les mêmes à la maison ! » Même parmi les fidèles du rang, cette soixantaine de héros qui se trouvaient, assistant à la messe du dimanche matin à l'intérieur de la cathédrale, ce discours passe mal. Dimanche 18 novembre, dans la cathédrale, le curé avait résolu de parler “messe face au peuple et présence au monde” ; et ce sont ses propres paroissiens qui l'ont interrompu en lui demandant d'aller faire de la présence au monde avec les catholiques restés dehors.
On sent bien que le discours épiscopal sur les traditionalistes, si résolu qu'il ait pu paraître dans les premiers jours du Motu proprio, n'est pas aussi assuré qu'il veut s'en donner l'air. La meilleure preuve ? Jusqu'au Motu proprio, l'argument fondamental des évêques était la différence entre chrétiens du concile et chrétiens de la messe en latin, une différence inassimilable à les entendre. Aujourd'hui leur argument (nous avons les mêmes à la maison) est exactement à l'inverse : « puisqu'on vous propose la même chose, disent-ils aux traditionalistes, revenez vers nous ! » Cette évolution rhétorique a été trop peu signalée. Elle est le premier signe d'une évolution pastorale considérable.
Je me souviens, durant mon service militaire, un prêtre d'Orléans, ordonné par Mgr Riobé, emblème controversé du progressisme français, qui me disait, alors que je n'étais qu'un petit séminariste en soutane : « Je suis dans la ligne de Riobé, mais la tradition j'en fais, on m'en demande ». Il m'avait assuré auparavant qu'il ne connaissait pas le latin : « Ça ne te gêne pas ? ». C'était lui qui se trouvait horriblement gêné, le pauvre ! Comme sont gênés aujourd'hui tous ceux auxquels on demande de faire ce qu'ils n'ont pas appris à faire, ces prêtres diocésains que l'on va recruter pour célébrer la messe traditionnelle.
Le 22 septembre, lors des ordinations de Saint-Éloi à Bordeaux pour le compte de l'Institut du Bon Pasteur, le cardinal Castrillon Hoyos, au cours d'un prêche très surnaturel sur l'apostolat sacerdotal, avait eu ce mot pour caractériser les sociétés de prêtres traditionalistes : ce sont « des instituts spécialisés ».
Les évêques devront cesser d'interpréter grossièrement le Motu proprio pontifical, en lui faisant dire ce qu'il ne dit pas. Et à ce moment-là tout naturellement, les prêtres traditionalistes, sortant des dits Instituts spécialisés, se mettront au service des diocèses, pour une pastorale qui n'aura pas peur d'être plurielle. Quitte à enseigner à leurs confrères ce dont ils ont été sevrés. Est-ce un rêve ? Plutôt, je crois, le mouvement inéluctable des événements. Oui : quelque chose comme la marche du siècle.
Abbé Guillaume de Tanoüarn