Éditorial - Politique express
Est-ce l’influence des amours élyséennes – ou devrait-on dire eurodisneylandiennes, puisque les favorites, qu’on officialisait jadis en les présentant à Versailles, se voient désormais conférer l’onction chez Mickey – qui a conduit le gouvernement à remettre à l’étude un ancien projet de la socialiste Élisabeth Guigou sur le divorce express ? Toujours est-il que c’est dans le même temps que Nicolas Sarkozy faisait répandre urbi et orbi la nouvelle que tout compte fait il était disposé à se consoler avec Carla Bruni (quelques semaines après avoir manifesté qu’il resterait inconsolable du départ de Cécilia, et quelques mois à peine après nous avoir redit à quel point “C.” l’admirable était définitivement la femme de sa vie) qu’on apprenait une nouvelle simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel : de judiciaire il deviendrait contractuel, puisque ce ne serait plus un juge (magistrat officiel, imposé par la carte judiciaire) qui le prononcerait, mais un notaire (membre d’une profession libérale, choisi librement par les deux futurs ex-conjoints) qui l’entérinerait. Alors que le juge avait mission de vérifier l’équité de l’accord et que celui-ci n’était pas en réalité “imposé” par le membre du couple psychologiquement dominant sur l’autre, le notaire ne ferait qu’acter une décision purement privée prise par les conjoints.
Sous couvert de simplification administrative, c’est donc à une nouvelle étape de la désacralisation du mariage qu’on assiste. Est-il pourtant si urgent d’offrir de nouvelles facilités aux couples souhaitant mettre fin à leur union alors même qu’en France, on prononce chaque année plus d’un divorce pour deux mariages ? Peut-on déplorer, à longueur de discours, l’absence de repères et continuer à détricoter, comme si de rien n’était, comme si l’expérience des quarante dernières années ne nous avait rien appris, le droit de la famille – insidieusement remplacé, dans ce domaine comme dans les autres par un “droit à” la famille de sa convenance ? Peut-on raisonnablement se plaindre du délitement du lien social, et arguer à chaque émeute qu’on en voit les effets dans les banlieues, et souhaiter la généralisation du travail le dimanche, privant ainsi de nombreux foyers du seul jour où ils ont vraiment l’occasion de se retrouver ? Peut-on aller proclamer au Latran les racines chrétiennes de la France, y déplorer le matérialisme ambiant et louer le rôle que les chrétiens ont à jouer pour le contrebalancer, et, quand il s’agit de politique concrète, toujours aller dans le sens d’une vision matérialiste de l’homme, d’une conception individualiste de la société ?
Simple machine à produire et à consommer, avide seulement de “travailler plus pour gagner plus”, fût-ce même le jour du Seigneur, ne demandant à la société rien d’autre que de ne pas le gêner dans l’exercice de ses projets et de ses plaisirs, ou de lui aplanir la voie de ses caprices – je t’aime, je te prends ; je me lasse, je te quitte –, inscrit seulement dans l’instant et ignorant tout de la durée, se définissant exclusivement par ses désirs et ignorant tout de ce qu’il peut apporter à autrui par ses sacrifices, l’homo sarkozykus est l’exact inverse de cet homme « qui croit (et) qui espère » exalté par le président de la République dans son discours du Latran.
Dans les propos privés qui ont entouré cette visite à Rome, Nicolas Sarkozy ne s’est pas privé de faire savoir qu’il était extrêmement ouvert aux différentes demandes que pourraient lui faire les évêques de France, et qu’il trouvait ceux-ci étonnamment timorés dans l’usage qu’ils avaient jusqu’ici fait de cette porte ouverte. S’il ne devait rester qu’une chose de cette visite au Latran, il ne serait pas mauvais que ce fût celle-ci : que nos évêques le prennent au mot. Et, texte de son discours à l’appui, le rappellent à ce devoir de cohérence auquel Benoît XVI appelait les responsables politiques – c’était, précisément, juste avant l’élection présidentielle.
Laurent Lineuil