samedi 15 décembre 2007

C’est à voir - Paris romantique

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 5

C’est à voir - Paris romantique

Deux expositions emblématiques du romantisme, au programme à Paris (l'une il est vrai plus importante que l'autre), toutes deux illustrant des peintres français.

Ils ont une douzaine d’années d'écart : l'un naît en 1797, il pourrait bien être le fils caché de Talleyrand ; l'autre en 1810, d'une famille de notables comtois. L'un est un libéral tolérant, sensible au lyrisme de la Révolution française (La Liberté guidant le peuple est dans tous les manuels d'histoire). L'autre un socialiste. Ami de Proudhon, dont il fera le portrait, on l’ accusa d'avoir déboulonné la Colonne Vendôme, durant la Commune en 1871 (ce qui le conduira quelques mois à Sainte-Pélagie). Il s'agit d'Eugène Delacroix et de Gustave Courbet.

L'un et l'autre marqués par le romantisme, leurs œuvres sont aux antipodes, preuve, s'il en était besoin, qu'il ne faut jamais se fier aux classifications scolaires, lorsqu'on a affaire à des génies.

L'exposition Delacroix et ses amis, nous introduit dans l'ancien atelier de l'artiste, transformé en musée. Il n'est pas question d'y voir les grands tableaux qui ont fait le prestige de Delacroix, ni Sardanapale ni Fantasia. Mais, à travers estampes et esquisses ou portraits, on saisit l'ambiance dans laquelle l'œuvre est née. Des copies en réduction du Radeau de la Méduse de Géricault (jeune ami de Delacroix, mort précocement d'une chute de cheval) et de la Barque de Dante (œuvre de Delacroix, inspirée du Radeau) attire l'attention du promeneur. Pour le reste, on peut évidemment se rendre au Louvre tout proche, ou pousser jusqu'à l'église Saint-Sulpice où une chapelle est décorée par Delacroix, avec en particulier Le combat de Jacob avec l'ange, emblématique non seulement de l'esthétique mais de la spiritualité romantique.

L'exposition Courbet au Grand Palais a une autre dimension. Il s'agit d'une rétrospective englobant tous les aspects de l'art du peintre. Audace, naïveté, culte du moi, on retrouve dans le soi-disant “réalisme” de Courbet tous les ingrédients du romantisme. Ses toiles sont souvent de véritables manifestes, à commencer par la quinzaine d'autoportraits qui ouvrent l'exposition. Et les trois truites qui les ferment, dont on nous dit, le plus sérieusement du monde, qu'elles sont elles aussi… des autoportraits. Le Portrait de l'artiste en fou qui sert d'affiche à l'exposition (et un autre, dans lequel il se dit « fou de peur »), sont d'une grande originalité. Dans Un enterrement à Ornans, l'artiste nous montre le petit peuple, en utilisant un format réservé aux grandx tableaux historiques : le prêtre en chape et goupillon, c'est donc encore… de la politique ! Courbet doit exposer cette toile à ses frais : elle est refusée au Salon de 1 854. Au deuxième étage, les paysages, les scènes de chasse et les natures mortes sont souvent, il faut bien le dire, de qualité moindre. Quant aux nus, ils sont d'une très expressive impudeur.

Courbet est grand quand il a voulu être grand, lorsqu'il provoque ou lorsqu'il se raconte. En cela, il représente ce romantisme du désir que Delacroix évoque dans son Journal, « un désir infini de ce que l'on n'obtient jamais, un vide que l'on ne peut combler, une extrême démangeaison de produire de toutes les manières ».

Joël Prieur


Delacroix et ses amis de jeunesse, 6 rue de Furstemberg, 75006, du 23 novembre au 25 février 2008.

Gustave Courbet, Grand Palais, Du 13 octobre 2007 au 28 janvier 2008.