jeudi 15 novembre 2007

C’est à voir - Arcimboldo ou les prodiges du baroque

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 5

C’est à voir - Arcimboldo ou les prodiges du baroque

Giuseppe Arcimboldo (1527-1593), peintre milanais ayant exercé ses talents à Prague, à la Cour de l'empereur Rodolphe II, porte jusqu'au surréel le génie du XVIe siècle renaissant et baroque. Ses compositions d'allégories ou de portraits, peints à partir de motifs de fleurs, de fruits ou d'objets de to u tes sortes apparaissent d'abord comme des curiosités, curiosa, au sens où l'on a parlé jusqu'au XVIIIe siècle de “cabinets de curiosités”, c'est- à- dire de collections d'objets étranges ou surprenants.

Surprise, c'est en effet le premier sentiment qui étreint le visiteur face à ces tableaux. Caractéristique de cette attira n ce particulière qu'a su créer le peintre italien, cette exposition qui se tient à l'Orangerie du Palais du Luxembourg et qui attire d'habitude le Tout-Paris huppé (ou se croyant tel) a accueilli cette fois et dès les premiers jours beaucoup d'enfants, qui sont immédiatement sensibles aux prouesses picturales d'Arcimboldo. La rétrospective est brève puisque l'Orangerie ne comporte que quatre salles, mais le spectacle n'est pas décevant : là un bibliothécaire dont le portrait est entièrement réalisé avec des livres ; ailleurs l'homme de loi ou le paysan ; ici le cuisinier impérial, dont la tête, émergeant d'une sorte de fait-tout, apparaît comme dessinée et réalisée uniquement à partir des aliments que ce maître queux emblématique sait apprêter pour son Maître, volaille plumée ou cochon de lait. Peindre un cuisinier en croûte ou en sauce, quoi de plus burlesque? Mais aussi quoi de plus sérieux ? N'a-t-on pas trop vite fait de devenir sa fonction, de s'identifier à elle? N'est-on pas un peu responsable de son visage avec l'âge ? Pour manifester la virtuosité invraisemblable de l'artiste, ce portrait est réversible. Il est présenté, ainsi que deux autres oeuvres, au-dessus d'un miroir. On découvre, à l'envers, un portrait tout aussi crédible du même personnage, sortant cette fois du couvercle du fait-tout. Sensible à ces prodiges de peinture, l'empereur Rodolphe II n'a pas dédaigné de commander au peintre son propre portrait en Vertumne, c'est-à-dire en annonciateur du printemps de ses sujets.

La recette d'Arcimboldo n'a pas eu de continuateurs. Mais il ne faudrait pas voir dans ces tentatives de simples jeux de pinceaux. La composition principale du peintre, qui met en parallèle les quatre saisons et les quatre éléments de la Physique traditionnelle, l'eau, l'air, le feu et la terre, nous rappelle que pour un homme du XVIe siècle, l'ordre universel se représente en une multitude d'analogies. S'il existe un ordre du monde, on ne peut le saisir qu'à travers les ressemblances qui renvoient indéfiniment leur jeu de correspondances. « Les parfums les couleurs et les sons se répondent » disait Baudelaire, qui excellait à nous faire entendre la musique des mots chantant ces analogies. Arcimboldo, avec les moyens extraordinaires de son art, nous les met sous les yeux.

GT


Jusqu'au 13 janvier 2008. Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard - Paris VIe. Entrée 13,20. Gratuit pour les moins de 10 ans.