jeudi 15 novembre 2007

Les paradoxes de la laïcité - Editorial - Laurent Lineuil

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 8

Les paradoxes de la laïcité - Editorial - Laurent Lineuil

Le 24 septembre, on apprenait que l’Institut catholique de Paris, la fameuse « Catho » dont le chancelier est l’archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, allait former des imams. Quoi donc, me direz-vous ? l’Église de France va-t-elle désormais assurer la formation théologique du clergé musulman? Vous n’y êtes pas : « Il s’agit, précise le maître d’œuvre de cette future formation, d’une formation sécularisante : nous n’aborderons pas de problématiques théologiques. » Au programme: un pôle culture générale (histoire de la modernité, des valeurs républicaines, des institutions françaises…), un pôle juridique (droits des religions, droits de l’homme…), un pôle d’ « ouverture au monde religieux » (sic)…

Dans le même temps que l’Église "qui est en France" s’occupait d’enseigner la modernité républicaine aux futurs prosélytes musulmans, la conférence des évêques de France, sous la signature de Mgr de Berranger (Saint-Denis) et Mgr Schockert (Belfort-Montbéliard), publiait le 1er octobre un communiqué sur le projet de loi sur l’immigration qui éclaire sur la lecture que nos évêques font des valeurs républicaines : « Les chrétiens,écrivent-ils, refusent par principe de choisir entre bons et mauvais migrants, entre clandestins et réguliers, entre citoyens pourvus de papiers, et d'autres sans papier. » Sans doute faut-il donc s’attendre à ce que la Catho enseigne aux futurs imams que le respect de la loi est un concept méprisable, la citoyenneté une fiction rétrograde et la France, un droit de l’homme…

La langue de buis de la collégialité

Pendant que nos évêques jouent la conscience "morale" de la République, il en est d’autres, Dieu merci, qui s’occupent de défendre les intérêts de l’Église. Une éminence déclarait ainsi, dans Le Monde du 16 septembre: « Certaines communes entreprennent aujourd’hui la destruction de leurs églises. La disparition de ces lieux spirituels ne devrait pas être possible, sauf procédure d’exception. Ce patrimoine culturel, même non protégé, même banal, doit être respecté. » Enfin un prélat courageux, me direz-vous, qui, après des mois de silence, s’élève contre le saccage du patrimoine religieux français ! Sans doute quelque évêque de combat, décidé à rompre avec la langue de buis de la collégialité ? Une fois de plus, vous n’y êtes pas, mais pas du tout ! Ce vaillant défenseur de nos églises, ce croisé (c’est lui-même qui emploie le mot) de la défense de notre patrimoine spirituel n’est autre… que le mirobolant Jack Lang.

Des évêques qui se muent en professeurs de laïcité, un ancien ministre socialiste qui est le seul à ramasser le drapeau du patrimoine religieux français : on a beau être habitué à marcher sur la tête, on n’en hésite pas moins entre l’hilarité et la consternation. On a beau être accoutumé à voir nos évêques se fourvoyer dans une conception fallacieuse de la laïcité – celle précisément que dénonce inlass ablement Benoît XVI sous le nom de laïcisme –, qui leur interdit de prendre toute position qui pourrait heurter les consciences modernes et faire douter de leur loyauté républicaine, et les ravale à un rôle d’experts en humanité, la pilule n’en reste pas moins rude à avaler. Et on rêve qu’un évêque français, en exercice celui-là, reprenne à son compte la charge tardive de Mgr Maurice Gaidon, ancien évêque de Cahors, contre l’affadissement de la parole épiscopale, dans ses récents Mémoires. Un évêque français entre crise et renouveau de l’Église: « J’ai l’impression d’avoir vécu ces années comme un lente dérive, au gré des modes et des langages convenus dans notre univers clérical et de me retrouver, à l’heure de mon ultime étape, dans un douloureux désarroi, envahi par le sentiment d’avoir subi passivement les prises de position et les décisions de mes frères en épiscopat et suivi avec eux la pente des compromis plutôt que d’user du langage rugueux et prophétique des témoins et annonciateurs d’une Parole qui est "un glaive". »

Réveillez-vous, Messeigneurs : il est plus que temps.

Laurent Lineuil