Objections n°11 - Novembre 2007 - page 7
L’entretien du mois - Père Alexandre Siniakov
Le P. Alexandre Siniakov a été nommé par Alexis II patriarche de Moscou et par le Synode de l'Église russe secrétaire pour les relations avec les Églises et la société, auprès de l'archevêque Innocent de Chersonèse à Paris. Il répond à nos questions sur la signification de la visite du patriarche Alexis II à Notre-Dame de Paris le 3 octobre dernier.
Père Alexandre, qu'est-ce qui s'est passé à Notre-Dame de Paris le 3 octobre dernier ?
Par sa visite solennelle à Mgr André Vingt-Trois dans la cathédrale de Paris, le Patriarche a souhaité établir un contact entre deux Églises soeurs , l'Église orthodoxe russe et l'Église catholique en France. C'est la première fois qu'un Patriarche de Moscou fait ce geste. Il a souhaité d'abord vénérer la Couronne d'épines, qui est certainement la relique la plus insigne du monde chrétien. Il s'est également adressé aux catholiques et aux orthodoxes qui vivent en France. Aux catholiques, il a dit son désir de travailler avec eux, de témoigner avec eux (en particulier sur les sujets de société sur lesquels les orthodoxes ont la même position que les catholiques, pour simplifier tout ce qui concerne la lutte contre la culture de mort). Il a voulu selon ses propres paroles qu'il soit possible de proclamer l'Évangile avec les catholiques dans nos pays. Aux orthodoxes, il a rappelé la nécessité de l'unité dans la diversité. Auparavant Mgr Vingt-Trois, saluant le Patriarche dans un discours appelé à faire date dans l'histoire des relations entre les catholiques et les orthodoxes, a rappelé son attachement au développement des relations entre catholiques et orthodoxes. Il faut souligner que beaucoup de chaînes de télévision de l'Europe de l'Est ont retransmis tout ou partie de cette cérémonie hautement significative.
Cette visite marque un climat nouveau dans les relations entre les catholiques et les orthodoxes. Le Pontificat de Benoît XVI représente-t-il un tournant à cet égard ?
Jean-Paul II a accompli des gestes très importants mais il s'est trouvé devant des difficultés objectives de plusieurs ordres liées d'abord aux énormes changements de la situation des chrétiens orthodoxes en Russie. Il y a eu l'Église gréco-catholique en Ukraine qui a revendiqué un certain nombre de bâtiments, ce qui a engendré des conflits. Nous avons contesté également non pas tant la nomination d'un évêque catholique mais la création d'une Conférence épiscopale à Moscou en 2002. Nous sommes attachés en effet à l'apostolicité de nos Églises. C'est ainsi qu'à Paris l'évêque Innocent, qui s'occupe des orthodoxes rattachés au Patriarcat de Moscou, est titulaire de Chersonèse en Ukraine, cette ville qui a été comme le baptistère de la Russie. Enfin, il faut bien reconnaître que Jean-Paul II a payé les frais des relations très difficiles entre la Pologne et la Russie. Pendant des siècles pour nous, catholiques et Polonais ont été deux mots pratiquement synonymes. C'est sans doute cela d'abord qui a fait que Jean-Paul II n'a pas pu aller à Moscou malgré son désir.
Vous pensez que la visite du pape à Moscou est envisageable aujourd'hui ?
L'Église russe a conscience que la visite d'un pape ne peut pas être sans conséquences. Il ne s'agit pas seulement d'un événement médiatique plus ou moins réussi comme cela a été le cas naguère en Géorgie. Cela doit être l'aboutissement d'un processus profond, le signe fort d'une époque vraiment nouvelle et pour l'instant la situation ne semble pas entièrement mûre pour une telle visite. La volonté du Patriarche est qu'une telle rencontre puisse avoir lieu d'abord en terrain neutre après la publication d'un document commun portant et sur les problèmes doctrinaux et sur les problèmes de terrain que je viens d'évoquer. C'est ainsi que cette semaine, une Commission mixte catholique orthodoxe se réunit à Ravenne pour poser le problème essentiel des rapports entre Primauté et conciliarité. Nous sommes vraiment au coeur du sujet !
Vous définiriez-vous comme quelqu'un qui souhaite poursuivre l'oecuménisme sous toutes ses formes ?
Je crois que l'oecuménisme n'est vraiment possible qu'entre orthodoxes et catholiques. Avec les protestants, c'est beaucoup plus difficile, il y a un nombre de questions beaucoup plus grand à traiter et à résoudre. La première question pour un chrétien me semble-t-il, c'est la notion de l'Église et de la succession apostolique. Les catholiques et les orthodoxes reconnaissent ces deux dimensions de la foi. Pas les protestants. Je dirai que l'intérêt des catholiques pour leur propre tradition est perçu comme un signe positif dans le monde orthodoxe. Plus un catholique est catholique, plus il a de chance de s'entendre avec un orthodoxe. La grande Tradition latine du Premier Millénaire est le gage de la réconciliation. À prendre les mots dans leur sens le plus théologique, on peut dire qu'un orthodoxe vraiment orthodoxe se sent catholique, comme un catholique vraiment catholique se sent orthodoxe. Il me semble à ce sujet que le confessionnalisme est un fléau du monde contemporain, qui va de pair avec le relativisme. Le Conseil OEcuménique des Églises a récemment tancé Rome, en soulignant que selon eux « aucune Église ne peut prétendre posséder la plénitude de la catholicité et que chacune y participe à sa mesure ». Ces termes sont inacceptables pour les orthodoxes, qui estiment avoir la plénitude de la catholicité et qui attendent des catholiques qu'ils aient la même conception pour eux-mêmes. Notre adversaire commun est le relativisme.
Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn
Le P. Alexandre Siniakov en cinq dates
Né en 1981. Entre au monastère de Kostroma en 1996. Arrive en France en 1998, encore novice ; il est accueilli au Couvent des dominicains de Toulouse. Ordonné prêtre en novembre 2004. Nommé secrétaire en juillet 2006, il achève une thèse à l'École des Hautes Études sur Le recours à l'autorité de Grégoire de Nazianze dans les controverses christologiques.