jeudi 15 novembre 2007

L’humeur - Reims a mille ans ! - Pierre Voisin

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 6

L’humeur - Reims a mille ans ! - Pierre Voisin

Le 22 septembre 1996: à Reims, le pape Jean-Paul II commémore le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis. Il lance aux Français un appel pressant : « Ce grand jubilé doit vous amener à dresser un vaste bilan de l’histoire spirituelle de "l'âme française". » Seize ans plus tard, le millénaire de la basilique Saint-Rémi, nous y invite à nouveau.

Voilà mille ans, en effet, que fut construite, à la place de l’ancienne abbatiale carolingienne où se trouvait déjà conservée la tombe de l'évêque Rémi, une imposante basilique, qui fut d'abord romane, puis gothique. Si « l’âme française », qu’évoquait le pape, n’est pas née à Reims – ou pas seulement –, elle y a trouvé les conditions matérielles de son développement sous le signe des lys, la fleur de Marie, quand tant d’autres royaumes choisissaient pour symboles des bêtes de proie. Dans la ville des sacres sont nées les images qui ont nourri au fil des siècles la mémoire collective de la nation française.

Première d'entre elles, celle du roi des Francs descendant dans le baptistère rémois avec trois mille de ses guerriers: « Courbe-toi, fier Sicambre… » Et le roitelet barbare courbe la tête devant le Dieu de Clotilde, ce Dieu des armées qui, quelques années auparavant, lui donna la victoire à Tolbiac.

Autre image, fixée au IXe siècle par l’évêque Hincmar, dans sa vie de saint Rémi: « Le chrême vint à manquer et, à cause de la foule du peuple, on ne pouvait aller en chercher. Alors, le saint prélat, levant les yeux et les mains au ciel, commença à prier en silence, et voici qu’une colombe, plus blanche que la neige, apporta dans son bec une petite ampoule pleine de saint chrême. » C’est ce Saint Chrême qui servira aux sacres de nos rois. Il est de bon ton, en notre époque de scepticisme, de douter du miracle au nom de la science historique. Pour nos pères, le symbole de la sainte ampoule avait assez de force pour qu’en 1793, le conventionnel Rühl jugeât prudent de la briser sur le socle de la statue de Louis XV…

C ’est dans le tombeau même de saint Rémi que la relique était conservée et qu’allaient la chercher les chevaliers de la sainte ampoule pour l’apporter de la basilique à la cathédrale, où le roi était sacré: ainsi procédèrent, le 17 juillet 1429, quatre compagnons de Jeanne d’Arc, au nombre desquels figurait Gilles de Rai. Nouvelle image: Jeanne, transfigurée de bonheur et tressaillant d’allégresse, assiste à l’onction de Charles VII. Elle tient levé son étendard, frappé de la devise Jhesus Maria. Désormais, les Anglais peuvent bien aller faire sacrer à Notre-Dame-de-Paris leur petit roi godon, avec la bénédiction des éminents clercs et prélats de l’Université de Paris : Charles est légitimé.

« C’est quand la nuit nous enveloppe, rappelait Jean-Paul II à Reims, que nous devons penser à l’aube qui poindra, que nous devons croire que l’Église chaque matin renaît par ses saints. "Qui l'a une fois compris disait Bernanos – est entré au coeur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle (…) une espérance surhumaine." » Ce passage cité par le pape était extrait de Jeanne, relapse et sainte. Et si Reims conservait les clés de notre avenir ?

Pierre Voisin