vendredi 15 février 2008

Aimez-vous l’omelette norvégienne ? - Abbé G. de Tanoüarn

Aimez-vous l’omelette norvégienne ? - Abbé G. de Tanoüarn

À l’heure où se multiplient les vrais faux bruits d’un rapprochement entre Rome et la Fraternité Saint Pie X, l’abbé Patrick de La Rocque, ancien patron de la Lettre à nos frères prêtres, propose une analyse de l’encyclique de Benoît XVI Spe salvi. Une occasion pour nous de pénétrer dans l’encyclique sans effraction. « La réponse donnée par l’encyclique est des plus décevantes, parce qu’elle ne reprend pas à son compte la nature de l’espérance chrétienne » ne craint pas d’écrire Patrick de La Rocque d’entrée de jeu. Avantage : le lecteur sait immédiatement à quoi s’en tenir. Oh ! pas tant sur l’encyclique : 120 pages sur 50 longs paragraphes, ça mérite une analyse plus fouillée. Le lecteur sait à quoi s’en tenir sur les sentiments qu’éprouve l’abbé à la lecture de l’encyclique. Avec de tels procédés, impossible d’être déçu par cet article : on sait où on va ! Vous n’avez pas compris ? « Benoît XVI n’a pas estimé pouvoir s’appuyer sur la foi de ses lecteurs pour leur enseigner le contenu et le motif de l’espérance chrétienne ». Et d’enfoncer le clou : « Aussi Benoît XVI cherche-t-il simplement à éveiller chez ses lecteurs leur dimension spirituelle, utilisant pour cela une dimension philosophique ». L’abbé de La Rocque estime donc que Benoît XVI fait de la philosophie et que cet “éveil de la spiritualité” aurait pu concerner des élèves de Terminale, préparant le bachot, mais pas des catholiques, assoiffés de théologie.

Saint Bernard et saint Paul contredits

Nous sommes tout près du poncif. Si vous en restez à cet article attrapé par hasard sur la Porte Latine, vous maudissez le professeur devenu pape et qui n’a pas compris qu’il n’était plus enseignant mais Pasteur. Mais si, par hasard, vous ouvrez l’encyclique (vous pouvez la commander au Centre Saint Paul pour le prix de 5 euros franco), alors votre indignation se fige. C’est la stupéfaction qui la remplace. Vous vous demandez si l’abbé a eu le même texte que vous.

En effet, dès les premiers paragraphes, Benoît XVI insiste sur la célèbre formule de l’Épître aux Hébreux : « La foi est la substance de ce que l’on espère ». Il ne faut pas avoir fait beaucoup de théologie pour comprendre que saint Paul nous explique : foi et espérance même combat. L’espérance au fond n’est rien d’autre que la foi devenue substantielle, la foi devenue réelle, la foi à l’épreuve du temps qui passe, la foi informant concrètement une vie d’homme. Attention, précise Benoît XVI, dans la plus pure tradition catholique, il ne s’agit pas seulement de chercher un sens, de trouver un élan, d’avoir sous la main une justification a posteriori de son existence. Tout cela sent l’élaboration secondaire, dirait le psychanalyste du coin de la rue. C’est du réchauffé. Le pape ne nous offre pas la vie en réchauffé, il ne nous propose pas une nième élaboration secondaire. Il nous explique que l’espérance nous transforme, qu’elle change jusqu’à notre être même. Là encore, on se demande si l’abbé a lu le même texte : « La possibilité de l’accès à l’être n’étant plus souligné, seule l’expérience de Dieu devient le fondement de l’agir droit ». La possibilité de l’accès à l’être se trouve pourtant soulignée par le pape et le zoïle, tout à sa querelle, n’a pas vu le soulignement pontifical. Voici ce qu’écrit Benoît XVI, commentant l’expression de saint Paul que nous venons de citer : « A Luther, pour qui la Lettre aux Hébreux n’était pas très sympathique, le concept de substance, dans le contexte de sa vision de foi, ne disait rien. C’est pourquoi il comprit le terme substance non dans le sens objectif d’une réalité présente en nous, mais dans le sens subjectif, comme expression d’une expérience (…) : une disposition du sujet. Cette interprétation s’est affermie même dans l’exégèse catholique… »
Et de contester la traduction proposée par la Bible œcuménique en langue allemande, qui se contente d’exprimer une espérance toute subjective. « La foi, écrit le pape, n’est pas seulement une tension personnelle vers les biens qui doivent venir mais qui sont encore absents. Elle nous donne quelque chose. Elle nous donne déjà maintenant quelque chose de la réalité attendue ». N’est-ce donc pas « la possibilité de l’accès à l’être », ce don de quelque chose qui est quelque chose de divin ? N’est-ce pas, sans le nom certes, la manifestation même du surnaturel divin, ce surnaturel que la théologie appelle justement (il n’y a pas de hasard) surnaturel quoad substantiam et que le catéchisme nomme la grâce sanctifiante ?

Pourquoi faut-il qu’on ait l’impression que l’abbé cherche la petite bête ? Et pourquoi laisse-t-il voir avec tant de maladresse qu’il ne l’a pas trouvée, qu’il a attrapé une ombre, qu’il s’est – gravement – mépris sur le sens théologique de l’encyclique ?

Et ce qu’il nous dit ensuite sur la rédemption, en laquelle le pape ne croirait pas, n’est-ce pas tellement énorme que – chat échaudé craint l’eau froide – on n’y croit pas, on n’y croit plus. Cette fois, alors que le pape parle magnifiquement de la compassion du Christ pour les hommes, citant du reste un texte de saint Bernard, le zoïle, s’abstenant de mentionner Clairvaux, récuse cette compassion du Christ, au motif que cette compassion « ne serait pas efficace » : « Quand je viens visiter un malade, j’apporte mon petit rayon de soleil. Mais puis-je pour autant me proclamer sauveur de ce malade ? » demande l’abbé. Curieuse question pour un prêtre ! Lorsque par compassion pour le malade, je lui apporte le pardon de Dieu (la confession) et la sainte communion, je puis me dire corédempteur de ce malade. Lorsque le Christ souffre par compassion pour nous, sa souffrance n’est pas simplement humaine, elle est divinement efficace.

Est-il interdit de parler, à ce sujet, de compassion du Christ ? Mais alors ce n’est pas seulement saint Bernard qu’il faudrait contredire mais saint Paul lui-même : « Il a fallu que le Christ, en tout semblable à ses frères, fût un pontife compatissant, car c’est des peines et des souffrances mêmes par lesquelles il a été tenté et éprouvé qu’il tire la vertu et la force de secourir ceux qui sont ainsi tentés » (Hebr. II, 18). Pontife compatissant ? Ainsi Lemaistre de Sacy, avec une grande sûreté, traduit-il l’adjectif miséricordieux du texte originel. C’est que la miséricorde du Christ n’est pas seulement divine ; elle est humaine, et en cela vraiment compatissante…