vendredi 15 février 2008

L’entretien du mois - Au nom de l’innocence

L’entretien du mois - Au nom de l’innocence

Homayra Sellier, quinqua flamboyante, a décidé de consacrer son énergie à réparer et à prévenir les dégâts de ce qu’elle n’appelle plus la pédophilie mais la pédocriminalité. Elle se bat au nom de l’innocence !


Vous dirigez une association internationale « Innocence en danger ». Croyez-vous vraiment que la pédophilie est un danger qui n’est pas marginal mais menace aujourd’hui potentiellement tous les enfants ? Avez-vous des chiffres ? Quel est le pourcentage d’incestes dans les délits de pédophilie ?
Non le phénomène n’est pas marginal. Certes il n’existe pas d’enquête précise en France sur ce sujet, mais aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, on parle d’un enfant sur cinq sollicité sur Internet. Certaines enquêtes descendent même à un enfant sur trois, il me semble que là c’est exagéré, mais cela donne une tendance. Attention, je ne suis pas contre Internet. La Toile est le reflet de ce que nous sommes. Je vous invite simplement, si vous êtes incrédule sur ce danger social de la pédocriminalité et des cyberpédophiles, à faire une expérience : mettez-vous sur des sites de tchat ou de communication comme Skype, et présentez-vous en tant que mineur isolé, malheureux ou fragile, et vous verrez si vous n’êtes pas abordé par un monsieur qui, sans même cacher son âge, vous entraînera vite dans des questions sexuelles. Il faut savoir qu’aujourd’hui 87 % des jeunes de moins de 17 ans sont familiarisés avec Internet. Cela touche donc potentiellement toute cette tranche d’âge. Quant à ce que vous dites de l’inceste, il est vrai que le nombre des violences intrafamiliales est très élevé, violence pas seulement sexuelle d’ailleurs. On donne le chiffre de 50 %. Cela n’empêche pas qu’il y ait cumul et que des violences intrafamiliales ne débouchent sur la publication de photos sur Internet ou sur une exploitation par des réseaux de pédocriminalité.
À quelle occasion avez-vous créé cette association internationale qu’est l’association Innocence en danger ?
Ce fut en 1999 le démantèlement du plus important réseau de cybercriminels dans le monde, au cours d’une Opération Cathédrale, à laquelle participaient les polices de quatorze pays. Cela s’est soldé par l’arrestation de plusieurs centaines d’individus, tous liés au réseau Wonderl—and. Le type qui est à l’origine de tout le réseau habitait San José en Californie. Justement, avec lui, il y a les trois dimensions en même temps : intra et extra-familiales et Internet. Lorsque sa fille invitait des copines en week-end, il venait les chercher en pleine nuit et il les violait en direct sur Internet, après avoir donné un rendez-vous aux membres du Réseau.
Vous parlez de tout cela avec fougue. On sent que vous voulez remuer des montagnes pour changer les choses. Y a-t-il au fond de votre engagement des raisons plus personnelles ?
Il est vrai que lorsque je suis arrivée en France, très jeune, pour faire mes études, mes parents sentaient venir la révolution iranienne et ils tenaient à ce que j’ai une bonne éducation. J’étais extrêmement ignorante, innocente, je ne savais pas ce qui se passait entre un homme et une femme. Heureusement je n’avais pas besoin d’argent, mais j’ai eu des copines qui étaient sollicitées de manière à peine voilée, au Trocadéro, sur les Champs-Élysées. Il y a eu des viols et l’une de mes amies s’est suicidée à cause de cela, peu après son mariage. J’ai promis que je ferai quelque chose pour ces enfants-là !
Vous êtes mère de famille. Qu’est-ce qui vous meut ? L’amour des enfants ?
Il y a des enfants qui me disent : « Tu as une grande charité ». Mais pour moi, il ne s’agit pas de charité ! Mon action a un enjeu social, public. J’entends rendre service à la société. Demain, les enfants maltraités ou violés feront partie de notre société. Si l’on ne s’en occupe pas, ils ont statistiquement plus de chance de devenir cocaïnomanes, ou dealers, de pratiquer des automutilations, d’être suicidaires. Et puis vous savez bien que la maltraitance engendre la maltraitance. Ils pourront eux-mêmes être du côté des bourreaux.
Votre association s’occupe particulièrement des enfants traumatisés ?
Oui, nous demandons que ces enfants aient un statut de victime et une aide de la société. Aujourd’hui ce ne sont pas les enfants qu’on aide, ce sont les criminels. Le suivi psychologique est réservé au violeur, pas à sa victime. Nous avons voulu pallier cette carence en organisant des sessions d’équithérapie (thérapie par l’équitation) ou d’art plastique, au cours desquelles les enfants peuvent parler. Sur les trente enfants que nous recevons actuellement à Neuchâtel en Suisse, on peut dire que seuls deux continuent à développer un véritable malaise. Pour les autres, lorsqu’il y a assistance, on peut atteindre facilement à ce que l’on nomme en psychologie la résilience, le dépassement du traumatisme. Encore faut-il en prendre les moyens ! Si l’enfant ne parle pas, le risque peut être celui du suicide. Regardez l’affaire Keizermetz : cet instituteur, aimé de tout le monde a eu 55 victimes en 25 ans. Mais chaque fois que l’Éducation nationale recevait des plaintes, il était muté ailleurs, sans la moindre explication. Il a fallu que l’une de ses victimes, un garçon de 28 ans, se suicide, après avoir dénoncé son violeur juste avant qu’il y ait prescription…
Vous parlez d’un statut de victime. Mais vous n’avez pas peur d’une victimisation excessive, comme à Outreau par exemple ?
Écoutez à Outreau, il y a quand même eu des viols. Il y a quatre personnes sous les verrous aujourd’hui et elles savent pourquoi. Alors bien sûr, les enfants ont été manipulés. On leur a dit : “Si tu ne dénonces pas, je vais en prison”. Pour des enfants qui sont dans ce genre de familles marginales et qui sont régulièrement transformés en objets sexuels, la différence entre la vérité et le mensonge est difficile à faire. Et je crois que cette vérité, la justice doit la leur donner. Dans beaucoup de cas, par exemple, le procès se termine par un non-lieu. Les enfants reçoivent ce non-lieu. Il y a eu fellation par exemple, mais allez prouver ce genre de chose ! Eh bien nous nous battons pour que l’on exprime autrement le verdict de la Justice, que les victimes ne prennent pas ce “non-lieu” pour un déni de la société. Rachida Dati a promis à notre association de faire quelque chose dans ce domaine, pour que l’expression du Tribunal n’apparaisse pas comme un refus de la réalité du trauma. Laissons-la travailler !