vendredi 15 février 2008

Le “génie” de la Révolution française - Abbé G. de Tanoüarn

Le “génie” de la Révolution française - Abbé G. de Tanoüarn

L’éditeur est à la recherche d’un bon coup éditorial. Il n’a pas d’œillères. Aucun parti pris. Sa qualité d’ecclésiastique (et je dirais plus précisément de dominicain) lui confère une liberté intérieure, peu commune par les temps qui courent. Après une conversation avec un de ses auteurs et amis sur les mythes politiques, parfois sanglants, qui donnent à l’histoire de France ce petit côté surréaliste que vous ne trouvez nulle part ailleurs dans le monde, ni une ni deux, le Père Escande se décide (c’était il y a deux ans) : il lance l’idée d’un Livre noir de la Révolution française. Seulement voilà : il ne s’agit plus d’un simple coup éditorial. Lorsqu’on se donne consciemment comme modèle Le Livre noir du communisme, lorsqu’on se propose comme premier objectif de travailler avec Stéphane Courtois, le responsable de l’élaboration du Livre noir du communisme, publié en 1997 et tiré à 1 million d’exemplaires, on se lance dans une véritable aventure intellectuelle. Le Père Escande est prêt. Il groupe autour de son idée un collectif. Première originalité : il n’y aura pas que des historiens. La Révolution française est aussi, pour nous, un événement contemporain, qui vaut à la fois par l’historiographie abondante qu’il a suscitée et par les critiques qu’il ne cesse de générer, critiques positives, critiques négatives, mais évidemment un Livre noir portera davantage sur le négatif.

D’abord les faits. Ensuite la réflexion sur les faits. Cette deuxième partie du Livre noir est la plus audacieuse. D’un peu partout aujourd’hui que le succès est acquis avant même la sortie en librairie (31 janvier), de multiples demandes affluent déjà chez l’éditeur : il faudrait plus ! Les 800 pages du premier Livre noir ne sont pas suffisantes, parce qu’il y a deux idées en une : il faut revenir sur les faits ; et il faut décrire encore le “génie” de la Révolution française. Philippe Murray avait écrit « Le XIXe siècle à travers les âges », on devrait réaliser « La Révolution française à travers les âges ». François Furet, étudiant Edgard Quinet, Alexis de Tocqueville, Augustin Cochin, avait commencé magistralement ce travail. Mais François Furet était un solitaire. Précocement disparu, il ne laisse pas de vrais disciples. Le Père Escande reprend le flambeau. Il a officialisé cette perspective, qui était celle de Furet, en en faisant un objet d’études pour la communauté scientifique tout entière. C’est, je crois, la Révolution intellectuelle que porte ce Livre noir, cette manière de considérer la Révolution française comme un objet transgénérationnel.

Conséquence logique : l’histoire n’est plus la seule matière sollicitée. On trouve aussi dans ce Livre noir l’histoire des idées et l’anthropologie. Témoin, ce curieux article du Frère Pothin, dominicain, sur la Révolution, sa devise – liberté, égalité, fraternité – et son rapport au père. Au père absent. Au père dont on a voté la mort. Ernest Renan disait déjà : « En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a guillotiné tous les pères de famille » – au moins sous le rapport de leur paternité. Le même Renan, cité par Dominique Paoli, est plus précis encore ailleurs : « Avec leur mesquine conception de la famille et de la propriété, ceux qui liquidèrent si tristement la banqueroute de la Révolution préparaient un monde de pygmées et de révoltés ».

Le meurtre public du père a produit une carence de légitimité politique, qui est spécifiquement française. Comme est spécifiquement française l’hypertrophie compensatoire du langage qui se substitue à la réalité et « réclame l’effacement du sujet dans la constitution du champ politique », comme l’explique un autre dominicain, Renaud Silly dans son bel article sur « Taine, historien de la Révolution française ».

Plus que jamais, dans notre individualisme débridé, nous vivons l’effacement du sujet, la carence de démocratie réelle, c’est-à-dire le triomphe inconditionnel de toutes les technostructures, seules aptes à porter, dans leur muette et inexorable puissance, cette Infaillibilité que s’est donné jadis la République, coupeuse de têtes et conquérante de terres.

Il n’y a plus de têtes coupées, mais il reste le Mythe. De Gaulle avait tenté d’inventer le souverain républicain, pour incarner le Mythe. Mais toute autorité personnelle tend à disparaître. Le président de la République en est réduit à faire la Une de la presse people pour exister, comme une vulgaire Reine d’Angleterre.

Que reste-t-il ? L’idée, qu’elle soit européenne ou mondialiste. Depuis 1789, la France se vit comme l’idée de la France. Tel est le “génie” de la Révolution. Mais gare à l’idéocratie !