vendredi 15 février 2008

C’est à lire - Edith Stein ou le culte de Moix - Joël Prieur

C’est à lire - Edith Stein ou le culte de Moix - Joël Prieur

Un aérolithe. Un objet littéraire non identifié. Le dernier livre de Yann Moix sur Edith Stein, a quelque chose d'irréel. Privilège de la littérature, ce pouvoir de... tout dire ! On se souvient de Podium, ce livre puis ce film à succès, consacré à Claude François, à sa légende, aux Claudettes et aux sosies du chanteur. Il n'est pas donné à tout le monde de chanter Alexandra sur le même rythme, avec la même gestuelle et des Claudettes aussi efficaces, que l'original, Claude François. Inoubliable bataille des sosies !

On a de la peine à se dire en lisant Mort et vie d'Edith Stein qu'il s'agit bien du même auteur, Moix lui-même. Plus de strass, plus de paillettes, plus de Claudettes. La jeune fille dont il nous parle est une philosophe. Elle ne cherche pas à faire illusion ou à ressembler à qui que ce soit. Juive, athée, elle cherche la vérité, rien de moins ! Et on sent à chaque page, que cette vérité, il n'y a pas qu'elle qui la cherche. Le lecteur est sommé de s'y intéresser aussi, et en quels termes ! Moix néophyte vomit les tièdes. Il entend bien faire partager sa nouvelle passion : « Hé, lecteur ! Tu as fait quoi de ta vie ? Je sais que tu triches, que tu n'es pas très sincère. Que tu (te) mens. Tu ne sais pas que faire de tes journées, tu as peur de rester tout seul chez toi. Tu trembles peureux, et je sais que : tu as peur de la peur. Vaguement tu déprimes. Tu te promènes, tu fais des “achats”, tu te trémousses dans quelques lits, avec des corps frôlés : tu jouis, hop, hop (c'est fait, arrrgh). Tu te fais croire parfois, devant une feuille blanche, que toi aussi tu as des idées, que toi aussi tu es un gros malin, que tu as des choses politiques, thermodynamiques, poétiques, philosophiques à dire. Tu prends des notes. Tu écris ton journal. Tu confies des choses à ton blog. Ça pour bloguer, tu blogues. Tu dois pas prier des masses, tel que je te connais (je ne te jette pas la pierre, je ne prie pas non plus). Je voudrais que pour une fois tu t'intéresses à une sainte : que tu te passionnes pour : Edith Stein ».

J'ai voulu consigner intégralement ce morceau de bravoure, parce qu'il résume bien l'ambition de Moix et la manière dont il la réalise. Le style. On reconnaît les “deux-points” qui rythment cet avertissement au lecteur, comme un tic particulier à l'auteur. Une manière de souligner, sans trop s'en donner l'air, ce qui est vraiment important. Une façon d'attirer l'attention. Pas pour frimer, pour convaincre. Pour toucher, pour atteindre le lecteur, et son esprit embrumé : « Nous avons besoin de savoir, et nous n'avons besoin que de savoir ». Certains critiques (catholiques bien sûr) se laissent aller à dire : Moix ? Il a fait Edith Stein pour les nuls. Et de nous conseiller de gros livres ennuyeux où l'on trouvera sans doute, après de longs efforts archéologiques, le vrai visage de celle qui est devenue sœur Bénédicte de la Croix, sans jamais cesser d'être l'élève préférée du philosophe Husserl. Il en a lu des biographies de son héroïne, Moix. Aussi bien ce n'est pas une bio qu'il nous propose. Et la raison qu'il donne vous fera comprendre qu'il va beaucoup plus loin que les bios pour les nuls et que les nuls qui se contentent des bios. Pour lui, Edith Stein est : éternelle. Cette jeune fille absolument normale, dont il ne nous épargne pas les pulsions sexuelles, dont il nous dit que, comme toutes les filles de son âge « elle n'était que corps », il nous la montre autrement, au bout de son parcours : transformée. Changée. Portant jusque dans sa conversion, portant dans son martyre à Auschwitz quelque chose du secret de son peuple. Rimbaud l'a dit en vers inoubliables : « Elle est retrouvée Quoi ? L'éternité. C'est la mer allée, avec le soleil ». Le poète est allé trouver l'éternité en Abyssinie. Mais le soleil de Yann Moix est à Auschwitz. Tel est le sacré pouvoir de la littérature !

Je n'aimais pas Edith Stein, je la trouvais allemande, pédante, toujours embarrassée de mots. Mais il faut bien reconnaître à Yann Moix son coup de foudre. Décidément oui : il est crédible !

Yann Moix, Mort et vie d'Edith Stein, Grasset, 2007, 196 pp., 14,90 euros