vendredi 15 février 2008

Éditorial - Le droit de tuer ? - Laurent Lineuil

Éditorial - Le droit de tuer ? - Laurent Lineuil

Concomitants, les deux événements semblent ne rien avoir en commun ; pourtant ils témoignent tout deux, à des degrés divers, de l’épuisement d’une nation qui a perdu l’envie de vivre. D’un côté, le rapport de la commission Attali, qui organise rationnellement la disparition de la nation française, conformément à l’idéal de nomadisme généralisé de son président, en voulant favoriser l’arrivée d’immigrés et pénaliser les familles françaises. Logique qui rejoint celle du Planning familial, qui lançait fin janvier en Ile-de-France une grande campagne d’affichage (sur fonds public) sur le thème « Sexualité, contraception, avortement, un droit, mon choix, notre liberté », accompagnée d’une campagne de presse dans les médias bien-pensants, sur le thème : “la liberté d’avorter est toujours à conquérir” – comme si les 58 000 avortements pratiqués annuellement en Ile-de-France, sur un total national de 220 000 (soit 25 % pour 18 % de la population), étaient notoirement insuffisants, au regard d’on ne sait quel obscur planning d’autodestruction.

Pour lutter contre cette culture de mort, l’heure du réveil aurait-elle sonné ? Certes, nous sommes très loin encore, en France, de la réaction espagnole (deux millions de personnes dans les rues de Madrid le 30 décembre, à l’appel de l’Église, pour défendre la famille), ou même des 100 000 à 200 000 participants annuels de la March for Life de Washington, le 22 janvier, lesquels ont reçu un message d’encouragement du président américain avant que leurs représentants ne soient reçus à la Maison-Blanche. Pas d’encouragement présidentiel, on s’en doute, pour les 10 000 participants de la Marche pour la Vie parisienne, le 20 janvier – une affluence qui croît chaque année, depuis quatre ans que cette marche unitaire existe. Mais, fait nouveau, la marche était signalée (certes d’une simple ligne) sur la page d’accueil du site internet de la Conférence épiscopale française. Surtout, à défaut de joindre le cortège, six évêques français lui avaient manifesté leur appui : NN. SS. Aubry (Saint-Denis de la Réunion), Bagnard (Ars-Belley), Cattenoz (Avignon), Centène (Vannes), Fort (Orléans), Rey (Fréjus-Toulon). Toujours les mêmes, me direz-vous… Raison de plus de saluer leur constance dans les bons combats. À défaut de soutenir cette marche pour la vie, les évêques de la région Ile-de-France, eux, ont tout de même signé un communiqué commun pour s’élever contre le prosélytisme pro-avortement du Planning familial.

Mais si ce combat, comme le rappelle inlassablement Benoît XVI, est l’un des “points non négociables” sur lesquels les catholiques ne peuvent passer aucun compromis avec le monde, il n’est pas, Dieu merci, un combat purement confessionnel. Et même si l’issue peut aujourd’hui en paraître bien incertaine, elle l’est d’autant moins qu’il rejoint les intuitions profondes de la morale naturelle ancrée en tout homme. Si le débat idéologique semble à ce sujet bien verrouillé par les chiens de garde de la pensée unique, la décence commune trouve heureusement des voies parfois inattendues pour les contourner. On n’en prendra qu’un exemple, répandu par affiche sur les murs de nos villes pour la promotion d’un film. Sous le titre de celui-ci, Juno, l’image de l’actrice qui dans le film porte ce prénom, dont la photo de profil laisse voir à loisir un ventre bien arrondi ; et un slogan : « Enceinte ! et alors ? » L’histoire, d’autant plus inattendue qu’elle est signée d’une scénariste qui, loin d’appartenir à la majorité morale, est une ancienne strip-teaseuse qui se dit "pro-choix", est celle d’une jeune fille qui, tombée enceinte par accident, rejette l’avortement que tout le monde considère comme naturel et se met en quête d’un moyen d’accueillir l’enfant. Sur le mode comique (En cloque, mode d’emploi), tragique (4 mois, 3 semaines, 2 jours ou Le Bannissement) ou mystique (L’Île), il ne se passe pas de mois sans que le cinéma évoque l’avortement comme une absurdité, une tragédie ou une douloureuse erreur. C’est parfois par le biais de la fiction que le réel reprend ses droits.